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main engageant le roi à n’en rien faire. Ce premier orage passé, mais dont elle garda rancune à Pibrac, elle trouva bientôt l’occasion de se remettre au mieux avec son mari. En se rendant à Montauban, celui-ci tomba malade à Eausse, dans l’Armagnac. Durant seize jours, du 19 juin au 5 juillet, elle le soigna avec un tel dévoûment qu’il s’en montra très reconnaissant. Après un court séjour à Montauban, la petite cour revint à Nérac et se reprit à sa vie de fêtes et de plaisirs. Marguerite avait appris bien vite à tous ces jeunes huguenots « à dérouiller leurs cœurs et à laisser rouiller leurs armes. » Se rappelant plus tard ce beau temps de sa jeunesse où, lui aussi, avait une maîtresse, Sully s’écriera : « Cette cour étoit douce et plaisante, on n’y parloit que d’amour. » Un libelle du temps l’avait dit avant lui :


Il y a bien de la besogne,
A regarder ce petit roy,
Comme il a mis en désarroy
Toutes les filles de sa femme ;
Mais, hélas ! .. que la bonne dame
S’en venge bien de son côté ! ..


C’est à ce moment d’insouciante vie que Pibrac retourna à Paris, où l’appelaient le devoir de sa charge de président et le soin des affaires de Marguerite. Très à court d’argent, elle l’avait chargé de vendre son hôtel. Ces sérieux moralistes, ces graves hommes de robe, se laissent quelquefois plus facilement que d’autres prendre au charme de deux beaux yeux. S’ils voient des cavaliers aux allures plus décidées s’attaquer hardiment à ces mêmes femmes auxquelles, trop timides, ils n’ont osé faire entendre les paroles d’amour qui leur venaient aux lèvres, ils en conçoivent involontairement un sentiment de haineuse jalousie. Leur susceptibilité ainsi froissée peut les entraîner à de petites et secrètes vengeances dont, à coup sûr, ils rougiraient de sang-froid. Ne serait-ce pas là le cas de Pibrac ? Ne serait-ce pas lui qui, partant de Nérac, le cœur ulcéré, raconta à Henri III que, parmi tous ceux qui faisaient la cour à Marguerite, le jeune vicomte de Turenne, l’un des plus assidus, passait pour être son amant ? Nous ne pouvons l’affirmer ; mais, rapprochement singulier, l’arrivée de Pibrac, à la cour coïncide avec la lettre que Henri III écrivit au roi son beau-frère pour l’en prévenir charitablement. Devons-nous ajouter au nombre des amoureux de Marguerite le nom de Turenne, « ce grand dégoûté, » dont elle disait si plaisamment : « Il me fait l’effet de ces gros nuages vides qui n’ont de l’apparence qu’au dehors ? » Le roi de Navarre n’y crut pas, ou,