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somptueusement servie, tandis que les hérauts d’armes jetaient au peuple par les fenêtres des médailles commémoratives de la cérémonie. Durant les deux jours qui suivirent, les bals, les fêtes, les tournois se succédèrent, « mais la fortune, dit Marguerite dans ses Mémoires, qui ne laisse jamais une félicité entière aux humains, changea bientôt cet heureux état de noces et triomphe en un tout contraire par cette blessure de Coligny, qui offensa tellement tous ceux de sa religion que cela les mit dans le dernier désespoir. »

Tenue pour suspecte comme catholique par les huguenots, et par les catholiques pour être la femme du roi de Navarre, Marguerite ignorait tout ce qui se tramait dans l’ombre. Dans la soirée du 23 août, elle était dans la chambre de sa mère ; tout autour d’elle, on échangeait des paroles à voix basse, des gestes mystérieux. Catherine, l’apercevant à l’écart, assise sur un coffre, lui fit signe de se retirer ; elle allait franchir le seuil de l’appartement quand sa sœur, la duchesse de Lorraine, la prenant par le bras et les yeux pleins de larmes, s’écria tout haut : « N’y allez pas ! » Catherine la suivait du regard : « Il faut qu’elle s’en aille, » dit-elle d’un ton qui ne permettait pas de résister. Marguerite se retira sans savoir ce qu’elle avait à craindre. Lorsqu’elle rentra dans ses appartemens, le roi son mari était déjà couché. Trente ou quarante huguenots entouraient son lit. Toute la nuit, ils ne firent que parler de la blessure de l’amiral, se promettant de demander justice au roi, et très décidés à l’obtenir par eux-mêmes si on la leur refusait. Au point du jour, le roi se leva et sortit, suivi de tous ses compagnons : il allait, disait-il, jouer à la paume. Vaincue par le sommeil, Marguerite se fit enfermer dans sa chambre par sa nourrice. A son premier sommeil, on frappa à la porte des pieds et des mains en criant : « Navarre ! Navarre ! .. » Sa nourrice pensa que c’était le roi qui rentrait, elle ouvrit : un gentilhomme tout sanglant se précipite dans la chambre. Des archers le poursuivaient, il se jette sur le lit de la reine. Prise de terreur, Marguerite se réfugie dans la ruelle et l’homme après elle, se faisant un rempart de son corps, l’inondant de sang. Attiré par ces cris, par ce tumulte, le capitaine des gardes Nançay accourt. « Donnez-moi la vie de ce gentilhomme, » crie Marguerite. D’un geste, Nançay fait retirer les archers. La reine ayant jeté sur elle un manteau de nuit, il la mena dans la chambre de la duchesse de Lorraine.

A quelques jours de là, Marguerite étant allée au lever de sa mère, Catherine la prit à part et, à voix basse : « Parlez-moi avec vérité, lui dit-elle, votre mari est-il un homme ? S’il ne l’est pas, j’ai moyen de vous démarier, — Je ne me connais pas, répondit Marguerite, à ce que vous me demandez, mais je n’ai pas un cœur de cire ; vous m’y avez mise, j’y resterai. » Se rappelant plus tard cette