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vous. Je supplierai notre mère de ne plus vous traiter en enfant. Laissez là votre timidité, parlez-lui comme à moi, ce vous sera un grand bonheur d’être aimée d’elle, et vous ferez aussi beaucoup pour vous et pour moi. » Ce langage alla droit au cœur de Marguerite : « Mon frère, s’écria-t-elle, vous avez eu raison de compter sur moi. En étant auprès de ma mère, je n’y serai que pour vous. » Son rôle fut facile : entendre parler de son fils, c’était l’unique joie de Catherine. Expansive et affectueuse, elle mit sa fille de moitié dans tous ses secrets. Marguerite put ainsi tenir le duc au courant de tout ce qui se passait et se disait à la cour.

Au lendemain de la victoire de Moncontour, l’armée royale s’était portée devant Saint-Jean-d’Angély. Rappelée de nouveau par son fils, Catherine se hâta d’accourir, mais cette fois elle était accompagnée par Charles IX. Le roi ne voulait pas laisser à son frère l’honneur de terminer seul cette glorieuse campagne. En récompense de son dévoûment, Marguerite s’attendait à être complimentée par son frère. Elle lui avait donné toute son affection ; elle avait la naïveté de croire à la sienne. A l’âge où l’on ne devrait vivre que d’illusions, elle allait brusquement entrer dans les difficultés de la vie et se blesser à ses épines.

L’enfant avait fait place à la jeune fille. La beauté lui était rapidement venue : des cheveux d’un brun foncé, qu’elle tenait de Henri II, son père, encadraient son frais visage de dix-sept ans ; de jour en jour elle devenait femme ; dans ses yeux brillaient l’inconscient désir de plaire et cette coquetterie native qui la rendra plus tard si redoutable. Mais, si belle qu’elle s’annonçât, elle n’avait toujours de doux regards que pour Henri de Guise. Cette préférence marquée n’échappa point à la clairvoyance de l’homme le plus intéressé à la surprendre, cet homme qui devait exercer une si fâcheuse influence sur les premières années de Marguerite, Louis de Béranger, sieur du Guast.

Issu d’une très noble et très ancienne famille du Dauphiné, Duguast ouvre la liste de cette longue suite de favoris qui pétriront à leur gré la nature molle et indolente du futur Henri III. Un crayon du Cabinet des estampes nous le rend bien tel qu’il devait être : front bombé, barbe rousse portée courte et taillée en pointe, lèvres minces et dédaigneuses. L’expression dominante de cette physionomie, c’est l’audace tempérée par l’astuce. Insolent et hautain, « il n’y avoit pas de prince qu’il respectât, pas de femme, et des plus nobles, qu’il n’outrageât. » Était-il du nombre de ces téméraires qui cherchaient déjà les regards de Marguerite ? ou bien avait-il entrevu dans l’amitié de la sœur et du frère un obstacle à la haute fortune qu’il se promettait ? Quel que fût son but, avec une