Page:Revue des Deux Mondes - 1884 - tome 65.djvu/470

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

naturelle qui parlaient ; elles soulageaient le public du malaise où la patience du second mari menaçait de le laisser ; qu’avait-il à faire, ce soldat, que de sauter sur une des épées accrochées au mur, ou, s’il avait plus de sang-froid, de mander le procureur impérial pour faire expulser l’intrus ? Mais surtout un passage du premier acte marque heureusement que les auteurs sont doués pour le théâtre ; ce n’est rien qu’une douzaine de répliques, mais d’une sobriété singulièrement forte. Le capitaine de Kersen, soupçonné naguère d’être l’amant de Mme Chesneau, et devenu depuis amoureux d’elle, vient demander au colonel Chesneau la permission de se battre en duel : « Contre qui ? — Contre le capitaine Henriot. — C’est un brave. — C’est un lâche ! J’appelle lâche l’homme qui insulte une femme quand elle n’a personne pour la défendre. — Cette femme n’est donc ni votre mère ni votre sœur : pourquoi vous battez-vous pour elle ? — Parce que c’est une femme. — C’est bien, je vous permets de vous battre. — Merci, mon colonel. » Les deux hommes sont là, frémissans, l’un sachant aussi bien que l’autre de quelle femme il s’agit et vibrant de colère, l’autre ému d’inquiétude et de respect, les yeux baissés, immobile, dans la posture du soldat devant son chef. La scène est touchée avec une énergie et une discrétion rares : elle a produit grand effet, et c’était justice.

Cela dit, insisterons-nous sur des maladresses, des répétitions, des longueurs ? Non, en vérité, pas plus que sur le mélodramatique et le romanesque de certains élémens ; pas plus que sur l’ampoulé du langage, peut-être imité trop fidèlement du stylo empire. MM. Émile Moreau et George André ont entrevu le sujet ; ils ont prouvé en quelques passages qu’ils étaient capables de le traiter ; ils ont même, ça et là, trouvé l’expression simple et droite des sentimens, — mérite bien rare au théâtre ! À présent, au lieu de former, par une fantaisie laborieuse, une machine d’événemens qui tourne dans le vide, qu’ils regardent autour d’eux, qu’ils observent les vivans. Qu’ils mettent aux prises la femme de Claude et Claude, ou le duc de Septmonts et la duchesse, et qu’ils prouvent, s’ils en ont la force, qu’il est juste et bon que ces créatures humaines soient liées deux à deux par le mariage indissoluble ; ou qu’ils reconnaissent qu’à de certains grands maux, le divorce est un grand remède ; ou que, plutôt encore, sans se faire les conseillers de l’état, ils montrent les causes et les effets du divorce dans les âmes ; qu’ils fassent palpiter sur les planches, sans regarder vers le Palais-Bourbon ni le Luxembourg, toutes les passions enfermées dans ce champ clos : une affaire de divorce ; qu’ils fassent agir et crier l’amour, la haine, la dignité, la honte, le respect ou le mépris de soi ou des autres, et les jalousies adverses, et tous les sentimens humains modifiés par ce fait : la rupture possible ou accomplie du mariage ; — qu’ils entreprennent seulement ce drame, et nous sommes prêts à les acclamer. En attendant, nous