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II

L’année dernière, dans la discussion du budget à la chambre des députés, lorsque la difficulté d’aligner le chiffre de nos dépenses avec celui des recettes éclata dans tout son jour, M. Henri Germain, député de l’Ain, produisit une piquante argumentation qu’il est bon de rappeler. Le mot d’économie se trouvait dans toutes les bouches, c’était à qui proposerait les chiffres les plus rassurans ; rien ne semblait plus aisé que de rétablir l’équilibre et de combler le déficit ; M. Henri Germain s’efforçait de rappeler la chambre au sentiment plus vrai de la réalité : « On a parlé, disait-il, du budget qui écrase la population et qu’il serait très facile de réduire. Quel est l’homme d’un peu de bonne volonté qui, sur un budget de 3 milliards et ayant la connaissance des affaires ne réaliserait pas une réduction de 10 pour 100, soit 300 millions ? .. Il y a, sur ces 3 milliards, 1,350 millions pour le service de la dette : rien n’est plus facile que d’alléger ce fardeau. La langue française, comme les autres langues, a un mot pour désigner la méthode de dégrèvement à ce point de vue : cela s’appelle la banqueroute. Je ne vous proposerai pas cette mesure… Est-ce que, par hasard, maintenant, il serait moins nécessaire d’inscrire au budget les 350 millions de dépenses administratives qui procurent ces 3 milliards, puisqu’ils en assurent le recouvrement ? Pourriez-vous réduire, sinon supprimer, les crédits affectés au service de la distribution des lettres, des télégrammes et d’achat de tabacs ? Vous ne pourriez réduire ces dépenses qu’en tarissant la source de vos revenus ou en renonçant à une partie des avantages que vous offrent la poste et le télégraphe… Voilà, si je ne me trompe, environ 1,700 millions sur 3 milliards qui sont irréductibles… Quelqu’un de vous voudrait-il réduire les dépenses des ministères de la guerre, de la marine, qui s’élèvent à plus de 800 millions ? Pas un membre du parlement n’a songé, depuis 1870, à affaiblir les forces militaires de la France ; par conséquent, vous ne ferez aucune réduction sur ce chapitre… Ce n’est pas non plus sur les dépenses de l’instruction publique ni sur celles des travaux publics que vous voudriez faire porter des diminutions… Or sur les 3 milliards du budget, il ne reste plus que 250 millions sur lesquels on peut faire des économies ; mais comment obtenir une réduction de 300 millions sur 250 ? C’est une opération qui n’est pas facile. N’oubliez pas que ces 250 millions de dépenses ont existé sous la restauration, sous la monarchie de 1830, jusqu’en 1848 et que ces dépenses existent encore… »