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par le vice-roi du Shen-Si, Tso-Tsung-Tang, qui vient d’être chargé d’organiser l’invasion du Tonkin.

Dans les provinces du centre de l’empire, l’autorité du gouvernement put être considérée comme complètement rétablie vers 1868 : à partir de cette époque, on ne trouva plus en armes que de petites bandes de brigands, réfugiés dans les montagnes. L’insurrection était anéantie ; mais les maux causés par plus de quinze années de guerre civile étaient presque irréparables. Les troupes impériales n’avaient pas commis moins de ravages que les rebelles, et les représailles qu’elles avaient exercées avaient décimé la population. Ce n’était partout que ruines, deuil, et dévastation. « Durant tout le voyage, dit un missionnaire qui traversa les provinces du Sud en 1860, nous eûmes sous les yeux le même spectacle, le désert, des ruines, des maisons brûlées, des chemins couverts de débris de meubles et de vaisselle, et de loin en loin une auberge dont les habitans effarés prêtaient l’oreille à tous les échos et se disposaient à prendre la fuite à la moindre alerte. » En 1874, M. Margary, remontant le Yang-tse, dans le cours de la mission que le gouvernement anglais lui avait confiée, passait devant la ville jadis florissante de Chinkiang, et il écrivait : « Rien n’est plus pénible à voir que cette vaste scène de désolation. Les Taïpings avaient pris possession de cette ville et leur lourde main a marqué sa trace par les débris de briques qui couvrent des acres de terrain et indiquent la place de ce qui fut jadis une ville pleine d’animation. » Le même voyageur décrit ainsi le spectacle que lui offrait le Kouy-Tchéou : « Cette province est déplorablement dévastée : toutes les villes sont réduites à l’état de simples villages, et les villages ne sont plus que des agglomérations de huttes de paille. On rencontre partout en quantité les ruines de bonnes et solides maisons de pierre qui attestent de quelle prospérité cette région jouissait avant que les sauvages habitans des montagnes descendissent en masse pour égorger la population. Cela remonte à vingt ans, et cependant ces malheureuses cités demeurent encore comme des cités des morts avec de longues murailles enceignant des acres de ruines. » Non-seulement le commerce avait été anéanti, mais souvent la culture était impossible, ou bien les moissons étaient détruites avant qu’on pût récolter, et les populations étaient réduites à des extrémités dont l’horreur laisse derrière elle les récits de certains naufrages. Le prêtre Thadée Yang parcourut la province de Hien-y-Fou après une incursion des musulmans de l’Yunnan ; il la trouva en proie à la plus horrible famine. « Les malheureux habitans ne se nourrissaient plus que de feuilles d’arbres, d’écorce et de chair humaine. On n’enterrait plus les morts : on les mangeait. On ne pouvait sortir qu’en caravanes armées. Trouver dans les champs un homme mort de faim était une