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avec le chef du nouveau gouvernement. Il se rendit à Nankin sur un bateau à vapeur : il fut renvoyé à Peï-Wang, qui occupait les fonctions de premier ministre et qui se montra aussi arrogant vis-à-vis de l’envoyé anglais que l’aurait pu être un dignitaire de la cour de Pékin. Sir G. Bonham venait, cependant, porter à la connaissance des Taïpings le texte du traité de Nankin et leur offrir la neutralité de l’Angleterre à la condition que les stipulations de ce traité seraient fidèlement observées. L’offre était trop avantageuse pour n’être pas acceptée, mais elle le fut avec des airs de supériorité et dans un style qui prouvaient que ce gouvernement de parvenus avait pour les Européens autant de mépris que les Tartares eux-mêmes. Néanmoins, les assurances données par Peï-Wang suffirent pour que les commandant anglais repoussassent toutes les demandes de secours que leur adressaient les autorités des provinces maritimes. Les Taïpings, s’ils n’avaient pas partagé les préjugés et les prétentions de leurs adversaires, et s’ils avaient su tirer parti du nouveau conflit qui s’éleva entre les Européens et la cour de Pékin, auraient pu voir cette neutralité de l’Angleterre se changer en une coopération d’un prix inestimable pour eux.


III

Le différend qui existait entre les autorités chinoises et les Anglais au sujet du droit de résidence à Canton n’avait jamais reçu de solution, La cour de Pékin avait donné au vice-roi de Canton pleins pouvoirs pour résoudre toutes les questions qui seraient à débattre avec les barbares. Tant que Canton fut sérieusement menacé par les rebelles, les autorités chinoises tramèrent les pourparlers en longueur. Mais les marchands de Canton, que le blocus de la ville ruinait, mirent à la disposition du gouverneur Yeh des sommes considérables pour lever des troupes. Les rebelles furent battus et rejetés hors de la province de Kouan-Tung : tous ceux des habitans qui étaient soupçonnés d’avoir pris parti pour la révolte forent mis à mort ; les exécutions se comptèrent par dizaines de mille et durèrent plusieurs semaines. Yeh, que la cour de Pékin éleva au rang de vice-roi, rentra dans Canton, couvert de sang et ivre de ses succès. Son ton vis-à-vis des Européens changea immédiatement. Il refusa de recevoir sir John Bowring et répondît à ses lettres avec la dernière insolence. La guerre de Crimée absorbait alors l’attention et les forces de l’Angleterre ; celle-ci ne put mettre à la disposition de son ambassadeur les moyens de coercition qu’il demandait. La présomption de Yeh s’en accrut et, sous prétexte de faire châtier un criminel, il ordonna de