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capable des premiers lieutenans du chef rebelle. Quant au nom de Taïpings, sous lequel on a coutume de désigner les rebelles, ceux-ci ne le prenaient point et on ne sait d’où cette désignation leur est venue. Il existe dans la province de Kouan-Si une petite ville de ce nom, qui fut peut-être un des premiers foyers de la rébellion. Une carte de la Chine, dressée sous l’empereur Houng-Wou, en 1394, indique sous le nom de Taïpings un peuple indépendant, établi sur le territoire qui forme actuellement les provinces septentrionales de la Chine ; mais ce nom avait déjà disparu lors de l’avènement de la dynastie mandchoue, et on ne trouve point de trace d’une transplantation qui aurait donné sujet aux insurgés de Kouan-Si de revendiquer une antique origine. Quelques auteurs, enfin, voient dans ce nom de Taïpings une altération de deux mots chinois qui voudraient dire : paix universelle, et qui auraient été le mot d’ordre ou le programme des insurgés.

Si vaste que soit l’empire chinois, la révolte de provinces entières ne pouvait manquer d’avoir un grand retentissement. Les populations opprimées ou qui regrettaient leur indépendance ne tardèrent pas à s’agiter : les musulmans de l’Yunnan furent les premiers à méconnaître l’autorité impériale et à massacrer les fonctionnaires chinois ; les Miao-tse chassèrent les mandarins : une sourde agitation s’empara des populations musulmanes du Nord-Ouest, et les partisans des Khodjas se montrèrent en armes dans le Turkestan. Tien-Wang, laissant à un de ses lieutenans la tâche d’achever la conquête de la vice-royauté de Canton, se décida à marcher vers le nord, et il envahit simultanément les provinces de Hounan et de Sze-Chuen. Il se faisait précéder par une proclamation dans laquelle il prétendait avoir « reçu la mission divine d’exterminer les Mandchous et de prendre possession de l’empire, comme son souverain légitime. » Sa marche ne rencontrait point de résistance sérieuse : à mesure que les Taïpings avançaient, les populations se soulevaient ; elles se saisissaient des mandarins qui les avaient opprimées et des Tartares, et les faisaient périr dans d’horribles supplices. La crainte de ces effroyables vengeances détermina les mandarins et les fonctionnaires à se réfugier dans les grandes villes et à s’y défendre avec obstination. Mal armés et dépourvus de tout matériel de siège, les Taïpings ne pouvaient s’emparer des places fortifiées avec quelque soin ; c’est ainsi qu’ils durent lever le siège de Kweiling, capitale du Kouan-Si, dans laquelle les commissaires impériaux s’étaient enfermés. Ils échouèrent également devant Changshu, capitale du Hounan. Un des membres du collège des Hanlin, Tseng-Kouofan, dont le fils a été ambassadeur à Paris, s’était retiré aux environs de cette ville, pendant la période de retraite que la perte d’un parent impose à tout dignitaire