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acceptaient de jouer le rôle de soldats, non pour se battre, mais pour gagner quelques sapèques et piller à loisir. C’étaient ces soldats grotesques que l’on rencontrait vêtus de haillons, partant en guerre armés d’un parasol et d’une lanterne, et décorés pour tout signe distinctif d’un chiffon rouge ou bleu sur la tête. Sous prétexte de défense publique, ils se livraient à un brigandage effréné, rançonnaient les citoyens paisibles, vivaient à leurs dépens, brisaient les meubles, les brûlaient pour préparer leurs repas, et incendiaient les maisons après les avoir pillées. » Il est aisé de juger des sentimens que de pareils défenseurs de l’autorité impériale inspiraient aux populations. Les insurgés tenaient une conduite tout opposée : ils s’emparaient bien des caisses publiques ; ils levaient à leur profit les contributions ordinaires ; mais ils payaient exactement leur nourriture et toutes les fournitures qu’ils exigeaient, répétant partout qu’ils avaient pris les armes pour faire triompher la justice et mettre fin aux exactions des Tartares. Aussi les accueillait-on favorablement, et nombre de villes leur ouvraient leurs portes.

L’inquiétude gagna la cour de Pékin, qui aperçut, mais trop tard, les conséquences funestes d’une mauvaise administration. Une circulaire impériale fut adressée à tous les fonctionnaires : l’empereur reconnaissait qu’il n’avait pas suffisamment rempli ses devoirs de souverain et il faisait appel en même temps au zèle des mandarins de tout rang. « En ce moment, disait la circulaire, les intérêts du pays sont loin d’être dans une condition favorable et le peuple est réduit à la situation la plus affligeante, ce qui est pour nous-mêmes, à nos yeux, une source de blâme et de reproche et nous impose d’employer toutes nos facultés à chercher et à appliquer le remède ; mais c’est avec peu de succès. Ne s’ensuit-il pas qu’il y a, de notre part, le plus sérieux abandon de notre devoir et que nous sommes le premier et le principal coupable de tout l’empire ? Il ne manque, ni à la cour ni en province, de fonctionnaires civils et militaires, qui, pleins de fidélité et de zèle, veillent sur les intérêts du pays comme sur ceux de leur propre famille ; mais, en même temps, il y en a un bon nombre qui en prennent à leur aise, ne cherchent que leur commodité, sont indolens et négligens, qui se préoccupent beaucoup de leur avancement et de leurs appointemens, mais n’ont aucun souci du bien de l’état. Nous n’élevons pas de prétentions au titre de souverain capable, et nous ne voulons pas rejeter sans nécessité le blâme sur nos ministres et nos fonctionnaires ; mais nous venons les inviter à mettre la main sur leur cœur, dans le silence de la nuit, et à se demander s’ils peuvent avec sécurité être satisfaits de l’état de choses actuel. Si, aujourd’hui, ils ne se reprochent pas amèrement l’oubli de leurs devoirs, ils ne tarderont pas être enveloppés de maux sans remède. Nous vous