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mandarins. Les habitans de Canton se montrèrent inquiets : des éclipses avaient ajouté aux craintes inspirées par celle qui avait effrayé Taou-Kwang, et nombre de gens prétendaient avoir aperçu dans le ciel de larges raies noires. Les détachemens envoyés par les autorités pour rétablir l’ordre furent battus et dispersés : la sédition se changeait en révolte. Il ne manquait qu’un chef pour se mettre à la tête du mouvement ; il ne tarda pas à se montrer. En 1813 était né, dans une petite ferme, sur le bord de la rivière du Nord, à environ trente milles de Canton, un enfant qui fut nommé Hung-Hsihuen. Le père était un Hakka, c’est-à-dire qu’il descendait d’une de ces familles chinoises que les Tartares, à la suite d’une insurrection, avaient transplantées du nord au sud pour les punir et les dépayser. D’où étaient venus les Hakkas, établis malgré eux sur les bords de la rivière du Nord, nul ne le savait, et Hung-Hsihuen pouvait s’attribuer telle origine qu’il lui plaisait. Il avait reçu de l’éducation, il avait concouru pour les grades ; ses amis assuraient qu’après des examens brillans, il avait été écarté des emplois auxquels il pouvait aspirer par la jalousie des Tartares et par d’injustes préférences pour les favoris de hauts mandarins ; d’autres prétendaient qu’il avait échoué dans l’examen définitif. Hung-Hsihuen s’était affilié à la Triade ; il menait une vie retirée, jeûnant, s’imposant toute sorte de privations, passant de longues heures dans la méditation et la prière ; on racontait qu’il avait fréquemment des songes, dans lesquels une apparition céleste lui ordonnait de prendre la défense du peuple chinois et lui promettait en récompense le pouvoir suprême. On relevait entre divers actes de sa vie et les phénomènes célestes des coïncidences extraordinaires ; bientôt après on prétendit que partout sa présence était marquée par des faits surnaturels. On alla presque jusqu’à lui attribuer le don de faire des miracles. Il se présenta aux révoltés du Kouan-Si, et ceux-ci s’empressèrent de prendre pour chef un homme qu’entourait déjà une vénération singulière. Hung était-il un mystique qui se croyait appelé à remplir une mission ? Était-il un ambitieux qui avait spéculé sur la crédulité populaire ? Enfin n’était-il qu’un instrument suscité et mis en avant par les chefs des sociétés secrètes ? Toujours est-il que sa présence donna une grande impulsion au mouvement insurrectionnel, qui embrassa bientôt toute la province de Kouan-Si. Les commandans impériaux, chargés de le comprimer, firent venir des troupes des deux provinces limitrophes, de Canton et du Kouy-Tchéou ; mais quelles troupes I Les régimens n’existaient que sur le papier, et l’évêque missionnaire du Kouy-Tchéou nous apprend comment on y suppléait. Lorsque, par ordre de l’empereur, il fallait faire marcher des troupes, les mandarins raccordent à la hâte les oisifs, les vagabonds, « qui