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membres de la famille impériale et de tous les hauts fonctionnaires, en leur demandant de venir en aide à son inexpérience dans les conditions difficiles où l’empire était placé. Comme son avènement avait coïncidé avec un grand incendie qui avait consumé une partie de Pékin et gagné le palais impérial, l’opinion s’était répandue que la question de la succession au trône avait donné lieu a des luttes intérieures et qu’une révolution de palais avait failli triompher. Un édit menaça de mort ceux qui continueraient à colporter des bruits injurieux pour la famille impériale et contraires à la vérité. Le jeune empereur sembla vouloir cimenter l’union parmi ses frères en les comblant de titres et de faveurs, Son frère Yihsu fut fait prince Kung, Yihtah devint le prince Shun, Yihhoh le prince Chun, et le plus jeune de tous, Yihwouy, le prince Fou. Nous retrouverons plus d’une fois tous ces noms, et deux de ces princes jouent actuellement le premier rôle dans les affaires de la Chine. Le changement de règne parut amener un changement immédiat dans la politique. Le premier ministre de Taou-Kwang, Mushangah, et Keying furent disgraciés pour n’avoir pas su maintenir l’honneur de la dynastie et pour avoir fait preuve d’une injustifiable faiblesse vis-à-vis des barbares. Le vice-roi de Canton, Su, fut appelé aux fonctions de premier ministre pour avoir refusé de laisser entrer les Anglais à Canton ; Lin fut relevé de sa disgrâce, appelé à une haute dignité, et comme il mourut en se rendant à son poste, un décret lui décerna le titre posthume de duc fidèle. Tous ces actes furent interprétés comme la marque d’un retour à la politique traditionnelle de la Chine à l’égard des étrangers : ils furent accueillis avec une vive satisfaction par la classe des lettrés et ils déterminèrent à Fou-Tchéou, à Canton et ailleurs, des démonstrations hostiles contre les Européens.

Ces actes imprudens devaient infailliblement aboutir à une nouvelle collision : elle eût éclaté immédiatement sans les embarras de toute nature auxquels faisait allusion la première proclamation de Hienfung. L’autorité du souverain était fort affaiblie, et la conduite du nouvel empereur, confiné dans son palais, uniquement occupé de ses femmes et de ses plaisirs et rejetant bien loin le souci des affaires, n’était pas de nature à la relever. La corruption régnait à la cour et parmi les plus hauts fonctionnaires. Les Mandchous, amollis par le luxe et les plaisirs, avaient oublié leurs vertus guerrières et abandonné les exercices militaires qui leur étaient imposés comme une obligation. Ils sollicitaient des emplois qui leur permissent de rançonner les populations, et, confinés dans certains quartiers des grandes villes dont la garde leur était confiée, ils dépensaient dans l’oisiveté une solde qu’ils ne gagnaient pas. Le désordre et la dilapidation étaient partout. Les mandarins s’appropriaient