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dans le mois de juillet, de deux éclipses, l’une de soleil et l’autre de lune, leur avait paru le présage de grands malheurs, et cette opinion avait été justifiée par les graves échecs qu’ils avaient essuyés coup sur coup. Le ministre Elepou, qui avait été disgracié pour avoir osé proposer de traiter avec les barbares, fut rappelé, et adjoint à Keying, oncle de l’empereur, pour négocier les conditions de la paix. Le traité fut signé à Nankin, le 29 août suivant, abord du vaisseau-amiral anglais Cornwallis. Il accordait aux Anglais une indemnité de guerre de 21 millions de dollars et la possession de l’île de Hong-Kong, et il ouvrait au commerce étranger les cinq ports de Canton, Amoy, Fou-Tchéou, Ningpo et Shanghaï ; les facilités commerciales accordées aux Anglais furent étendues aux négocians français et américains, lorsque la France et les États-Unis envoyèrent des plénipotentiaires en Chine, en les faisant accompagner par des bâtimens de guerre. Le traité avec la France fut signé par Keying, à Canton, le 23 octobre 1844. Ce traité assurait aux catholiques la liberté de pratiquer leur religion, et, naturellement, il ne stipulait aucun paiement à faire à la France : aussi Keying, en le signant, dit-il à M. de Lagrenée : « La France est une grande nation qui ne cherche point à gagner de l’argent par les traités. »

L’empereur Taou-Kwang a-t-il connu toutes les clauses du traité de Nankin ? A-t-on osé mettre sous ses yeux un texte dans lequel une parité absolue était établie entre lui, le Fils du Ciel, le souverain universel, et la reine d’Angleterre ? A-t-il su qu’on lui avait imposé la cession d’une terre chinoise, l’île de Hong-Kong ? Cela paraît douteux : la copie officielle du traité, destinée à la cour de Pékin et revêtue des ratifications anglaises, fut retrouvée quelques années plus tard à Canton, dans les archives de la vice-royauté, où elle avait sans doute été laissée à dessein par Keying. Les seules pièces publiées par la Gazette de Pékin ont été le mémoire adressé à l’empereur par les négociateurs chinois pour lui faire connaître les demandes des barbares et exposer les raisons, qui, à leur avis, rendaient la paix nécessaire, et la réponse impériale qu’ils produisirent comme contenant leurs pleins pouvoirs. Dans cette réponse, Taou-Kwang garde le ton de supériorité et de condescendance habituel aux souverains de la Chine ; les conditions de la paix sont autant de faveurs qu’il consent à accorder aux barbares ; ce n’est point le trésor impérial, ce sont des villes chinoises à désigner par Keying qui paieront l’indemnité de guerre ; l’existence de la reine d’Angleterre n’est même pas mentionnée et il n’y est aucunement question de Hong-Kong. Il est à présumer que les commissaires chinois, reconnaissant l’impossibilité de la guerre, ont pris sur eux de signer le traité et se sont contentés d’écrire à Pékin que les ordres de l’empereur avaient été exécutés, mais se sont gardés d’envoyer