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une source de revenus pour combler le déficit du trésor. Consulté à ce sujet, le collège des censeurs émît un avis tout opposé : il établit par une série de calculs que la balance du commerce se traduisait, tous les ans, par une différence de 10 millions de taels, ou 75 millions de francs, au préjudice de la Chine. Cette différence avait pour origine l’introduction de l’opium, qui ne trouvait de contre-partie dans la vente d’aucun produit chinois, et qui se payait exclusivement en espèces d’argent. Les censeurs rappelaient leurs rapports de 1833 ; qui démontraient que, dans les onze premières années du règne de Taou-Kwang, il était sorti de Chine pour environ 450 millions d’argent. Ils concluaient donc que, si on autorisait la libre importation de l’opium, on donnerait une grande extension à la consommation, qu’on accroîtrait par suite l’exportation des métaux précieux et qu’on accélérerait l’appauvrissement, déjà très sensible, de l’empire. Ces raisons parurent péremptoires au gouvernement chinois. Taou-Kwang envoya à Canton un commissaire spécial, Lin-Tsihuen, avec pleins pouvoirs, pour couper le mal à sa racine, fallût-il fermer l’entrée de la Chine à tous les étrangers. Informé des résolutions du gouvernement chinois, le capitaine Elliot, par un avis public, invita ses compatriotes à s’abstenir d’un commerce déclaré illicite, les avertissant que « le gouvernement de Sa Majesté n’interviendrait en aucune façon si les autorités chinoises jugeaient à propos de saisir et de confisquer l’opium. » Cela ne suffit point au commissaire chinois, qui, à peine arrivé, enjoignit aux marchands étrangers de livrer sous trois jours tout l’opium dont ils étaient détenteurs et qui fit cerner les factoreries européennes, en déclarant qu’aucun étranger ne quitterait Canton avant qu’une perquisition générale eût établi son innocence. Sur le conseil, et même à la demande du capitaine Elliot, les marchands anglais remirent vingt mille caisses d’opium, d’une valeur d’environ 50 millions, qu’il fit délivrer aux autorités chinoises ; mais Lin, arguant de ce que le commerce de l’opium était un crime capital d’après la loi chinoise, réclama les personnes de dix-huit négocians anglais dont il dressa la liste et qu’il se proposait de faire décapiter. Le capitaine Elliot enjoignit aussitôt à ses nationaux de se retirer à Macao. Lin voulut les y faire poursuivre par une flottille de vingt-neuf jonques qui stationnait dans les eaux de Canton, mais cette flottille fut en partie détruite et en partie dispersée par les deux frégates le Volage et l’Hyacinthe, qui étaient venues se mettre aux ordres du capitaine Elliot.

C’était le prélude d’une guerre devenue inévitable. Les Chinois en acceptèrent la perspective avec une aveugle confiance : L’arrivée successive de bâtimens de guerre anglais ne leur causa aucune appréhension. La lenteur avec laquelle un corps expéditionnaire se