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régnaient dans sa cour. Ce fut auprès de lui que fut envoyée la première ambassade européenne ; mais lord Macartney, représentant d’un petit Toi barbare, ne fut pas admis à contempler le Fils du Ciel. Un ministre fut délégué pour prendre connaissance des demandes que l’envoyé barbare venait apporter aux pieds du trône ; l’ambassadeur, tenu en chartre privée à Pékin avec sa suite, et accompagné à l’aller et nu retour par une escorte qui lui marquait sa route, ne put voir de la Chine que ce qu’un prisonnier en aurait aperçu de la charrette sur laquelle il aurait été enchaîné. L’idée qu’un prince quelconque pourrait un jour émettre la prétention de traiter d’égal à égal avec le chef de l’empire du Milieu eût été à ce moment repoussée par tous les Chinois comme le plus extravagant et le plus impossible de tous les rêves.

Kiang-Long avait atteint sa quatre-vingt-troisième année ; soit qu’il se sentît accablé par l’âge, soit en exécution d’un vœu qu’il aurait fait dans sa jeunesse, il abdiqua en 1796 et se retira au fond de son palais, qu’il ne quitta plus. Il s’éteignit, trois ans plus tard, en 1799. Il avait désigné pour lui succéder l’aîné de ses fils, qui, en montant sur le trône, prit le nom de Kia-King, Ce prince n’avait aucune des grandes qualités de son père ; élevé dans le luxe et la mollesse, il n’avait de goût que pour les plaisirs. Malheureusement il se trouvait en face d’un trésor vide. Les guerres de conquête entreprises par Kiang-Long, les grands travaux d’utilité publique qu’il avait fait exécuter, la magnificence dont il aimait à s’entourer avaient épuisé les finances ; il avait fallu accroître le poids des impôts ; les exactions et les détournemens de ministres prévaricateurs avaient encore aggravé les charges de la population, dont le mécontentement n’était contenu que par la crainte qu’inspirait l’énergie du vieil empereur. Kia-King ne trouva d’autre moyen pour remplir la cassette impériale que de faire mettre à mort le premier ministre Ho-Kouan, le fidèle compagnon des travaux de son père, et de confisquer sa fortune, évaluée à un demi-milliard de notre monnaie. Cette ressource mal acquise fut promptement dissipée par un prince prodigue, qui ne mettait aucune Rome au luxe de sa cour, aux dépenses de son harem et de ses eunuques, qui avait la passion des représentations théâtrales et dont le goût pour les comédiens, les danseurs et les saltimbanques était si vif qu’il ne pouvait se séparer de ses acteurs favoris et qu’il se faisait accompagner par eux dans les rues de Pékin, au grand scandale de la population, même lorsqu’il se rendait au temple, à certains jours, pour assister aux cérémonies religieuses imposées par la tradition.

Cette conduite du souverain ne pouvait qu’ajouter à l’irritation causée par l’augmentation des impôts, et par la rigueur croissante