devant des symboles moraux et des divinités de carton peint, quoi de plus beau pour le moraliste d’apparat qui n’a jamais distingué le faux du vrai et dont la sensibilité à fleur de peau est empruntée aux écrivains sensibles ! « Pour la première fois[1], » son visage s’épanouit, il rayonne de joie, et l’enthousiasme du scribe se déverse, comme toujours, en phrases de livre : « Voilà, dit-il, la plus intéressante portion de l’humanité ! L’univers est ici rassemblé. O nature, que ta puissance est sublime et délicieuse ! Comme les tyrans doivent pâlir à l’idée de cette fête ! » Lui-même, n’en est-il pas le plus bel ornement ? N’a-t-il pas été choisi à l’unanimité pour présider la Convention et pour conduire la cérémonie ? N’est-il pas le fondateur du nouveau culte, du seul culte pur que la morale et la raison puissent avouer sur la terre ? — En grand costume de représentant, culotte de nankin, habit bleu barbeau, ceinture tricolore, chapeau à panaches[2], tenant dans la main un bouquet d’épis et de fleurs, il marche le premier, en tête de la Convention, et, sur l’estrade, il officie : il met le feu au voile de l’idole qui représente l’Athéisme et, à sa place, tout d’un coup, par un mécanisme ingénieux, il fait apparaître l’auguste statue de la Sagesse. Là-dessus, il parle, puis il reparle, exhortant, apostrophant, prêchant, élevant son âme à l’Être suprême, avec quelles combinaisons oratoires ! avec quel déroulement académique de petits versets enfilés bout à bout pour mieux lancer la tirade ! avec quel savant équilibre de l’adjectif et du substantif[3] ! De ces périodes tressées comme pour une distribution de prix ou pour une oraison funèbre, de toutes ces fleurs fanées s’exhale une odeur de sacristie et de collège ; il la respire complaisamment et s’en enivre. Sans doute, en ce moment, il est de bonne foi, il s’admire sans hésitation ni réserve, il est à ses propres yeux, non-seulement un grand écrivain et un grand orateur, mais encore un grand homme d’état, un grand citoyen : sa conscience artificielle et philosophique ne lui décerne que des éloges. Mais regardez en dessous, ou plutôt attendez une minute. Derrière lui, l’impatience et l’antipathie se sont fait jour : Lecointre l’a bravé en face ; des murmures, des injures, et, ce qui est pis, des sarcasmes sont arrivés jusqu’à ses oreilles. En pareil jour et en pareil lieu ! Contre le pontife de la vérité, contre l’apôtre de la vertu ! Comment les mécréans ont-ils osé ? Silencieux, blême, il avale sa rage[4], et, perdant l’équilibre, il se précipite, les yeux clos, dans
- ↑ Ibid., XXXIII, 176. (Récit de Vilate.)
- ↑ Hamel, III, 541.
- ↑ Buchez et Roux, XXVIII, 178 et 180.
- ↑ Ibid., 177 (récit de Vilate). — Ibid., 170. Notes de Robespierre sur Bourdon (de l’Oise). — 417. Passages raturés par Robespierre dans le manuscrit de son discours du 8 thermidor. — 429. Phrases analogues dans son discours tel qu’il l’a prononcé. — On sent, à tous ces indices, la profondeur de son ressentiment.