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Seulement, « il a parlé avec franchise, de quelques membres de la commission des Vingt et un ; » en sa qualité de « magistrat » et « dans une assemblée municipale, » ne devait-il pas « s’expliquer librement sur les auteurs d’une trame dangereuse ? » Au reste, la Commune, « loin de provoquer les événemens du 2 septembre, a fait tout ce qui était en son pouvoir pour les empêcher. » Enfin, il n’a péri qu’un innocent : « C’est beaucoup sans doute. Citoyens, pleurez cette méprise cruelle ; nous l’avons pleurée dès longtemps ; mais que votre douleur ait un terme, comme toutes les choses humaines. » Quand le peuple souverain, reprenant les pouvoirs qu’il a délégués, exerce son droit inaliénable, nous n’avons qu’à nous incliner. — D’ailleurs, il est juste, sage et bon ; « dans tout ce qu’il fait.., tout est vertu et vérité, rien ne peut être excès, erreur ou crime[1]. » A lui d’intervenir, quand ses vrais représentans sont gênés par la loi : « Qu’il se réunisse dans ses sections, et vienne nous forcer à mettre en état d’arrestation les députés infidèles[2]. » Rien de plus licite qu’une telle motion, et voilà toute la part que Robespierre a prise au 31 mai. Il est trop scrupuleux pour faire ou commander un acte illégal ; cela est bon pour les Danton, les Marat, pour les hommes de morale relâchée ou de cerveau échauffé, qui, au besoin, marchent dans le ruisseau et retroussent leurs manches jusqu’au coude ; quant à lui, rien ne dérangera ou ne salira ostensiblement son costume d’honnête homme et de parfait citoyen. — Au comité de salut public, il ne fait qu’exécuter les décrets de la Convention, et la Convention est toujours libre. Lui dictateur ! Mais il n’est qu’un député entre sept cents autres, et son autorisé, s’il en a une, n’est que l’ascendant légitime de la raison et de la vertu[3]. Lui meurtrier ! Mais, s’il a dénoncé des conspirateurs, c’est la Convention qui les a traduits devant le tribunal révolutionnaire[4], et c’est le tribunal révolutionnaire qui en a fait justice. Lui terroriste ! Mais, s’il veut simplifier la procédure, c’est pour hâter la délivrance des innocens, la punition des coupables, et l’épuration définitive qui mettra pour jamais la liberté et les mœurs à l’ordre du jour[5]. — Tout cela, il parvient presque à le croire, avant de le dire, et tout cela, après, qu’il l’a dit, il le croit[6].

  1. Garat, 86. — Cf. Hamel, I, 264 (Discours du 9 juin 1791.)
  2. La Révolution, II, 454 (Discours du 3 avril 1792.)
  3. Buchez et Roux (Discours du 8 thermidor).
  4. Ibid., XXXII, 71 (Discours contre Danton) : « Qu’avez-vous fait que vous n’ayez fait librement ? »
  5. Ibid., XXXII, 199 et 221 (Discours sur la loi du 22 prairial.)
  6. Mot de Mirabeau sur Robespierre : « Tout ce que cet homme a dit, il le croit. — Robespierre, hôte de Duplay, dînait tous les soirs avec Duplay, juré au tribunal révolutionnaire et collaborateur de la guillotine à 18 francs par jour. Probablement, à la table de famille, l’entretien roulait sur les abstractions ordinaires ; mais parfois on devait mentionner les condamnations du jour, et, même quand on ne les mentionnait pas, on y pensait. Seul aujourd’hui, Robert Browning pourrait reconstituer le dessus et le dessous de ces entretiens, le soir, devant la mère et les jeunes filles. »