Page:Revue des Deux Mondes - 1884 - tome 65.djvu/355

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

et « le vaisseau de l’état, » des alliances de mots et des réussites de style, comme en cherche un rhétoricien sur les bancs de son collège[1], parfois un grand air de bravoure, comme il en faut dans une parade publique[2], souvent un petit air de flûte, parce que dans ce temps-là on doit avoir le cœur sensible[3], bref les procédés de Marmontel dans son Bélisaire ou de Thomas dans ses Éloges, tous empruntés à Jean-Jacques, mais de qualité inférieure, comme d’une voix aigre et grêle qui se tendrait pour singer une voix pleine et forte, sorte de parodie involontaire et d’autant plus choquante qu’ici la parole aboutit à l’action, que le Trissotin sentimental et déclamateur se trouve chef d’état, que ses élégances élaborées dans le cabinet sont des coups de pistolet ajustés à loisir contre des poitrines vivantes, et qu’avec une épithète adroitement placée il fait guillotiner un homme. — Le contraste est trop fort entre son rôle et son talent. Avec ce talent piètre et faux comme son intelligence, aucun emploi ne lui convenait moins que celui de gouverner les hommes ; d’ailleurs il en avait un autre marqué d’avance, et auquel, dans une société tranquille, il se fût tenu. Supprimez la Révolution, et probablement Marat eût fini dans un asile ; il y avait des chances pour que Danton devînt un flibustier du barreau, malandrin ou bravo dans quelque affaire interlope, finalement gorgé et peut-être pendu. Au contraire, Robespierre aurait continué comme il avait commencé[4] : avocat appliqué, occupé et considéré, membre de l’académie d’Arras, lauréat de concours, auteur d’éloges littéraires, d’essais moraux, de brochures philanthropiques ; sa petite lampe, allumée, comme cent autres de calibre égal, au foyer de la philosophie nouvelle, eût brillé

  1. Buchez et Roux, XXXIII, 421 : « La vérité a des accens touchans, terribles, qui retentissent avec force dans les cœurs purs comme dans les consciences coupables, et qu’il n’est pas plus donné au mensonge d’imiter qu’à Salmonée d’imiter les foudres du ciel. » 437 : « Pourquoi ceux qui avant-hier vous prédisaient tant d’affreux orages ne voyaient-ils plus hier que des nuages légers ? Pourquoi ceux qui vous disaient naguère : Je vous déclare que nous marchons sur des volcans, croient-ils de marcher aujourd’hui sur des roses ? »
  2. Ibid., XXXII, 369, 361. (Portrait des Encyclopédistes. — Portrait des Hébertistes.)
  3. Ibid., XXXII, 408 : « Ici, J’ai besoin d’épancher mon cœur. » XXXII, 375 à 370, tout le finale.
  4. Hamel, Histoire de Robespierre, I, 34 à 76. Avocat à vingt-trois ans, membre de la Société des Rosati d’Arras à vingt-quatre ans, membre de l’académie d’Arras à vingt-cinq ans ; la Société royale de Metz lui décerne le second prix pour son discours contre le préjugé qui déclare infâmes les parens d’un criminel condamné ; son éloge de Gresset n’est pas couronné par l’Académie d’Amiens. Il lit à l’académie d’Arras un discours contre les incapacités civiles des bâtards, puis un autre discours sur la réforme de la jurisprudence criminelle. En 1789, il est président de l’académie d’Arras, publie un éloge de Dupaty et une adresse à la nation artésienne sur les qualités que doivent avoir les futurs députés.