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10 août[1], le 2 septembre, le 31 mai ; le 2 juin[2], le décret qui lève dans chaque grande ville une armée de sans-culottes salariés « pour tenir les aristocrates sur leurs piques, » le décret qui, dans chaque commune où les grains sont chers, taxe les riches pour mettre le prix du pain à la portée des pauvres[3] ; le décret qui alloue aux ouvriers quarante sous par séance pour assister aux assemblées de section[4], l’institution du tribunal révolutionnaire[5], la proposition « d’ériger le comité de salut public en gouvernement provisoire ; » la proclamation de la terreur, l’application du zèle jacobin à des œuvres effectives ; l’emploi des sept mille délégués des assemblées primaires, renvoyés chez eux pour y devenir les agens du recrutement et de l’armement universel[6], les paroles enflammées qui lancent toute la jeunesse sur la frontière, les motions sensées qui limitent la levée en masse à la réquisition des hommes de dix-huit à vingt-cinq ans, et qui mettent fin aux scandaleuses carmagnoles chantées et dansées par la populace dans la salle même de la Convention[7]. — Pour édifier la machine, il a déblayé le terrain, fondu le métal, forgé les grandes pièces, limé les boursouflures, dessiné le moteur central, ajusté les rouages secondaires, imprimé le premier élan et le branle final, fabriqué la cuirasse qui protège l’œuvre contre l’étranger et contre les chocs du dehors. La machine est de lui : pourquoi, après qu’il l’a construite, ne se charge-t-il pas de la manœuvrer ?

C’est que, s’il était capable de la construire, il n’est pas propre à la manœuvrer. Aux jours de crise, il peut bien donner un coup d’épaule ; emporter les volontés d’une assemblée ou d’une foule,

  1. La Révolution, II, 238 (note), et 283. Garat, 309. « Après le 20 juin, tout le monde faisait de petites tracasseries au château, dont la puissance croissait à vue d’œil : Danton arrangea le 10 août et le château fut foudroyé. » — Robinet, le Procès des Dantonistes, 224, 229 (n° 214 du Journal de la société des Amis de la constitution, 5 juin 1792). Danton propose « l’établissement de la loi de Valérius Publicola, édictée à Rome après l’expulsion des Tarquins, qui permettait à tout citoyen de tuer un homme convaincu d’avoir manifesté une opinion contraire à la loi de l’État, sauf à prouver le crime. » — Ibid., n° 230, 231, 13 juillet 1792. Danton provoque les fédérés « à faire le serment de ne quitter la capitale qu’après que la liberté serait établie et le vœu des départemens exprimé sur le sort du pouvoir exécutif. » — Voilà le principe et les instrumens du 10 août et du 2 septembre.
  2. Garat, 314. « Un instant il parut au comité de salut public ; le 31 mai et le 2 juin éclatèrent ; il a été l’auteur de ces deux journées. »
  3. Décrets du 6-7 avril 1793.
  4. Décret du 5 septembre 1793.
  5. Décret du 10 mars 1793.
  6. 1er août 1793, 12 août 1793.
  7. La Révolution, tome III, chap. V. — Buchez et Roux, XXV, 285 (séance du 26 novembre 1793). — Moniteur, XIX, 716. Danton (16 mars 1794) fait décréter « qu’on n’entendra plus à la barre que la raison en prose. »