Page:Revue des Deux Mondes - 1884 - tome 65.djvu/343

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

premier comité de salut public[1], au 31 mai et au 2 juin : on l’a vu à l’œuvre. Jusqu’au bout, en dépit de ses partisans, il a tâché de diminuer ou du moins de ne pas accroître les résistances que le gouvernement devait surmonter. Presque jusqu’au bout, en dépit de ses adversaires, il a tâché d’accroître ou au moins de ne pas détruire les puissances que le gouvernement pouvait employer. — A travers les vociférations des clubs qui exigeaient l’extermination des Prussiens, la capture du roi de Prusse, le renversement de tous les trônes et le meurtre de Louis XVI, il a négocié la retraite presque pacifique de Brunswick[2], il a travaillé à séparer la Prusse de la coalition[3], il a voulu changer la guerre de propagande en une guerre d’intérêt, il a fait décréter[4] par la Convention que « la France ne s’immiscerait en aucune manière dans le gouvernement des autres puissances, » il a obtenu l’alliance de la Suède, il a posé d’avance les bases du traité de Bâle, il a songé à sauver le roi[5]. — A travers les défiances et les attaques des Girondins qui veulent le déshonorer et le perdre, il s’obstine à leur tendre la main, il ne leur déclare la guerre que parce qu’ils lui refusent la paix[6], et il

  1. De Sybel, Histoire de l’Europe pendant la Révolution française, traduction Dosquet, II, 303 : « Nous pouvons déclarer dès à présent que ce furent ces mesures actives de Danton et du premier comité de salut public, jointes aux dissensions qui divisaient la coalition, qui donnèrent à la république le pouvoir de résister à l’Europe. Nous verrons au contraire que toutes les mesures propres au parti de la Montagne, loin d’accélérer les arméniens, les ont entravés. »
  2. De Sybel, ibid. I, 558, 502, 585. (Les intermédiaires furent Dumouriez et Westermann.)
  3. Ibid., 290, 291, 293, et II, 28.
  4. Buchez et Roux, XXV, 445 (séance du 13 avril 1793.)
  5. Récit du comte Théodore de Lameth, aîné des quatre frères Lameth, colonel, député à la Législative. Pendant la Législative, il avait beaucoup connu Danton ; après les massacres de septembre, il s’était réfugié en Suisse, et il était inscrit sur la liste des émigrés. Un mois environ avant la mort du roi, il voulut tenter un suprême effort et vint à Paris. « J’allai droit chez Danton, et, sans me nommer, j’insistai pour être introduit sur-le-champ. A la fin, on me fit entrer et je trouvai Danton dans le bain. « Vous ici ! s’écria-t-il ; mais savez-vous que, d’un mot, je puis vous faire guillotiner ! — Danton, lui dis-je, vous êtes un grand criminel, mais il y a des infamies dont vous n’êtes pas capable, entre autres, de me dénoncer. — Vous venez pour sauver le roi ? — Oui. » — Là-dessus la conversation s’engagea, très amicale et très confiante. — Je consens, dit Danton, à essayer de sauver le roi, mais il me faut un million pour gagner les voix nécessaires, et il me le faut d’ici à huit jours. Je vous préviens que, si je ne puis lui assurer la vie, je voterai sa mort. Je veux bien sauver sa tête, mais non perdre la mienne. » — M. de Lameth se mit en quête, vit l’ambassadeur d’Espagne, fit parler à Pitt, qui refusa. — Danton, comme il l’avait annoncé, vota la mort ; puis il facilita ou toléra le retour de M. de Lameth en Suisse. (Ce récit m’est transmis par M.., qui l’a recueilli de la bouche du comte Théodore de Lameth.)
  6. Garat, Mémoires, 317. « Vingt fois, me disait-il un jour, je leur ai offert la paix ; ils ne l’ont pas voulue ; ils refusaient de me croire pour conserver le droit de me perdre. »