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Rochers, dans lequel il avait souhaité à Pauline un prince qui l’épousât, comme avait fait Énée dans la caverne avec Didon. L’allusion parut sans doute trop légère, car Mme de Grignan ne se montra pas charmée de ce bout rimé : « Mon fils est toujours fâché du mépris que vous avez fait de la caverne d’Énée. » En même temps, on s’occupait de dévotion, et Mme de Grignan s’amusait à changer ses prières pour y trouver plus de variété : « J’approuve fort que vous laissiez là vos vieilles oraisons qui ne sont plus à la mode, il faut tâcher de trouver mieux. » La correspondance de Mme de Grignan finit par le récit d’un danger couru sur le Rhône en revenant de Paris à Grignan : « Mon Dieu ! ma chère bonne, quelle pensée que celle de ce Rhône que vous combattez, qui vous gourmande, qui vous jette où il veut ! Ces barques, ces cordages, ces chevaux qui vous abîment en un instant s’ils eussent fait un pas ! Ah ! mon Dieu ! tout cela fait mal. » C’était le dernier voyage de la comtesse ; et il nous rappelle les accidens du premier. La correspondance finit comme elle avait commencé. Quelques jours plus tard, Mme de Sévigné annonçait à son tour son départ pour Grignan, d’où elle ne devait pas revenir. M. Capmas a retrouvé cette lettre, la dernière que Mme de Sévigné ait écrite, et par là si intéressante pour nous ; mais elle ne contient rien de Mme de Grignan. On voudrait finir sur quelques pages d’elle. Mais ces dames, qui n’ont pas prévu notre curiosité, n’ont rien fait pour la satisfaire ; et plus semblable à la vie qu’au roman, la correspondance coupe court et finit sans dénoûment.

La restitution des lettres de Mme de Grignan que nous avons essayée dans cette étude, nous permet de démêler avec clarté le caractère et l’esprit de cette remarquable personne ; nous n’avons qu’à rassembler les traits épars dans les analyses précédentes. Mme de Grignan, comme le disait sa mère, était une vraie grande dame ; elle avait l’âme forte et fière, et elle était possédée au plus haut degré de l’amour des grandeurs. Elle partagea toujours avec fon mari le souci des affaires, et ressentit, aussi vivement et plus vivement que lui, les animosités dont il fut l’objet ; elle ressentit aussi, profondément et sans se plaindre, l’oubli et l’indifférence de la cour, aspirant à se rapprocher du soleil sans y avoir jamais réussi. Ce goût de la grandeur ruina ses affaires. Elle recevait avec magnificence, tenait table ouverte ; et quand elle se disait seule à Grignan, elle entretenait encore une centaine de personnes. Elle jouait par gloire et perdait toujours. Aussi passa-t-elle sa vie dans des embarras d’argent bien humilians pour un cœur bien placé ; toute dépensière qu’elle était, elle était en même temps bonne administratrice ; elle savait tirer parti de ses propriétés. Grande