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toute cette relation fort jolie : c’est un petit morceau de l’ancienne galanterie. »

L’ami Corbinelli, le maître de Mme de Grignan, était passé de la philosophie à la dévotion. De cartésien il était devenu mystique et quasi-quiétiste. Mme de Grignan en plaisantait et l’appelait « le mystique du diable. » C’était une allusion aux abus du molinosisme et du faux mysticisme. Le marquis de Sévigné prenait en riant cette petite méchanceté ; mais Mme de Sévigné n’entendait pas raillerie sur ce point : « Comment ! mystique du diable, un homme qui ne songe qu’à détruire son empire, qui ne compte pour rien son chien de corps, qui souffre la pauvreté chrétiennement (vous direz philosophiquement ! ) Il y a dans ces mots un air de plaisanterie qui fait rire d’abord et qui pourrait surprendre des simples. Mais je résiste, comme vous voyez, et je soutiens le fidèle admirateur de sainte Thérèse, de ma grand’mère et du bienheureux J. de la Croix. » Mais Mme de Grignan ne se rendait pas ; elle comparait les mystiques aux faux-monnayeurs ; et sa mère cédait devant cette spirituelle comparaison : « Je trouve trop plaisant la comparaison que vous faites des mystiques avec les faux-monnayeurs ; les uns, à force de s’alambiquer l’esprit, font des hérésies ; les autres font de la fausse monnaie à force de souffler. »

Le peu de goût de Mme de Grignan pour les Provinciales pouvait bien avoir pour cause la politique : car elle était politique en tout, même avec sa mère, et celle-ci le savait. Ainsi, elle n’aimait pas les jésuites ; mais sa position lui faisait une nécessité de la réserve sur cette matière, si délicate alors. Aussi, même par lettres, elle ne se livrait pas sur ce point. Mme de Sévigné s’en piquait et se montrait un peu agacée de cette conduite. On connaît la charmante anecdote sur la dispute de Boileau et d’un père jésuite chez M. de Lamoignon. Ce récit est un des chefs-d’œuvre de Mme de Sévigné, et elle espérait amuser beaucoup sa fille avec cette anecdote. Mais celle-ci ne rit que du bout des lèvres, ce qui lui attira la petite semonce suivante : « Vous me donnez envie de vous conter des folies, tant vous entrez bien dans celles que je vous mande ; mais vous riez trop timidement du distinguo ; qu’avez-vous à craindre ? N’ont-ils pas (vos beaux-frères) assez de bénéfices ? J’entends votre réponse : le crédit des autres (les jésuites) va sur tout. Eh bien ! je le veux ; mais faites au moins comme le père Gaillard, ou chez notre voisin, où le récit fut trouvé plaisant au dernier point. »

On sait à quel point Mme de Grignan admirait les lettres de sa mère. Celle-ci pressentait bien qu’on les ferait imprimer un jour : « Vous tenez tellement mes lettres au-dessus de leur mérite que, si