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représailles, elle lui reproche de n’avoir pas lu les Imaginaires, comme si c’était la même chose ! « Raccommodons-nous, lui répond Mme de Sévigné ; il me semble que nous sommes un peu brouillées. J’ai dit que vous aviez lu superficiellement les Petites Lettres ; je m’en repens ; elles sont belles et trop dignes de vous pour que vous ne les ayez pas toutes lues avec application. Vous m’offensez aussi en croyant que je n’ai point lu les Imaginaires, c’est moi qui vous les prêtai… Sur ces offenses mutuelles, nous pouvons nous embrasser. »

Mme de Sévigné a souvent loué sa fille de son talent de narratrice. Voici le résumé d’un de ces récits qui émeut encore dans son abréviation, soit par la couleur que l’écrivain y ajoute, soit par l’impression qui reste du récit primitif : « J’ai beaucoup à répondre sur l’histoire tragique et surprenante du pauvre Lantier… Toutes les circonstances de cette mort conduisent à un étonnement particulier : ces périls renaissans où il était exposé, ce dernier siège de Mayence, où il était entré si romanesquement, le bonheur d’en être échappé, cette force de tempérament, cette conversation où il se moque de celle du doyen, ce rendez-vous que M. de Noailles lui avait donné et où il manque par le trait de la main de Dieu qui le frappe dans la rue entre les bras de ses deux frères dont il était aimé, au milieu de la joie qu’ils avaient de le revoir, toutes ces circonstances si touchantes et si marquées qu’encore que ce ne soit pas la première mort subite dont on ait entendu parler, on croit n’en avoir jamais entendu une si surprenante. » La peinture des funérailles et de l’étrange circonstance qui s’y fit voir n’est pas moins vive, ni moins frappante : « Les grosses larmes sont tombées de mes yeux en me représentant le spectacle de ce pauvre doyen pénétré de douleur, le cœur saisi, disant la messe pour ce frère que voilà dans l’église, tout vif encore, mais tout mort dans ce cercueil, qui saigne de tout côté. Ah ! mon Dieu ! quelle idée ! Le sang coule-t-il d’un corps mort ? Oui, puisque vous le dites. Voilà donc ce sang qui ne demande pas justice, mais une grande miséricorde. » Puis, passant du sévère au plaisant, Mme de Sévigné demandait à sa fille de la part d’un ami, M. de Guébriac, une consultation sur les cours d’amour. Mme de Grignan renvoyait la réponse avec légendes à l’appui, due au prieur de Saint-Jean, très fort sur ces matières. « J’aurais perdu, si cette lettre eût été égarée, la plus belle instruction du monde sur cette cour d’amour, dont mon nouvel ami eût été au désespoir. Sa curiosité sera pleinement satisfaite. Ah ! que cet Adhémar est joli ! mais aussi qu’il est aimé ! Sa maîtresse devait être bien affligée de le voir expirer en baisant sa main : je doute, comme vous, qu’elle se soit faite monge (moine) ; je trouve