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apprendre l’italien et tout ce qui sert à former l’esprit » Pomponne, comme on sait touchait de bien près à Port-Royal, et c’était tout dire.

N’oublions pas quelques plaisanteries qui viennent encore de temps en temps égayer des lettres de plus en plus sérieuses. « Ce que vous dites sur la pluie est trop plaisant. Qu’est-ce que c’est que de la pluie ? comment est-elle faite ? est-ce qu’il y a de la pluie ? Et comparer celles de Provence aux larmes des petits enfans qui pleurent de colère et non de bon naturel, je vous assure que rien n’est plus plaisamment parlé. Est-ce que Pauline n’en riait pas de tout son cœur ? » Un autre trait rappelle encore plus le tour d’esprit de la comtesse dans sa jeunesse et sa bizarre gaîté ; c’est ce mot sur la grossesse de Mme de Rochebonne : « Ah ! que vous êtes plaisante de l’imagination que Mme de Rochebonne ne peut être dans l’état où elle est qu’à coups de pierres[1]. Quelle jolie folie ! C’est aussi que Deucalion et Pyrrha raccommodèrent si bien l’univers. Ceux-ci en feraient bien autant en cas de besoin. Voilà une vision bien plaisante ! » Citons encore une fin de lettre qui fit beaucoup rire Mme de Sévigné et son fils. « Votre frère lut l’autre jour l’endroit de votre lettre où vous me disiez que vous vouliez m’avoir : Oui, sans doute ; je veux, je prétends vous avoir comme les autres. — Adieu, les autres ! Cela parut si plaisant qu’il en rit de tout cœur. Comme les autres paraît sec, et puis tout d’un coup : Adieu, les autres ! »

Mais la gaîté n’était plus qu’un rare rayon de soleil chez Mme de Grignan. La philosophie et les affaires l’occupaient’ tout entière. Elle philosophait sur la vie, et avait sur la jeunesse et l’âge mûr de ces pensées fortes et saisissantes qui rappellent quelque peu une célèbre page de Bossuet : « Vous dites des merveilles en parlant de la fierté et de la confiance de la jeunesse ; il est vrai qu’on ne relève que de Dieu et de son épée ; on ne trouve rien d’impossible ; tout cède, tout fléchit, tout est aisé… Mais, comme vous dites, il vient un temps où il faut changer de style ; on trouve qu’on a besoin de tout le monde ; on a un procès, il faut solliciter, il faut se familiariser, il faut vivre avec les vivans. » La philosophie pratique ne l’occupait pas tout entière ; il lui restait du temps pour la métaphysique. Elle écrivait à Mlle Descartes une lettre toute philosophique que son frère et sa mère admiraient à l’envi. Voici ce que le marquis lui écrivait : « J’aimerais mieux avoir fait votre lettre à Mlle Descartes, je ne dis pas qu’un poème épique, mais que la moitié des œuvres de son oncle. Jamais Rohault, que vous citez, n’a parlé si clairement. » Mme de Sévigné joignait ses éloges à ceux de son

  1. Allusion à un rondeau de Benserade.