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II

Ici la correspondance s’arrête pendant quatre années (1680-1684) ; elle reprend de 1684 à 1685 par suite du voyage de Mme de Sévigné aux Rochers. Cette fois, les rôles sont renversés. C’est Mme de Sévigné qui est en province ; c’est Mme de Grignan qui reste à Paris, et qui donne par conséquent les nouvelles du grand monde et de la cour ; elle lui parlait en particulier de la haute situation de Mme de Maintenon : « Vous m’avez fait bien plaisir de me parler de Versailles ; la place de Mme de Maintenon est unique dans le monde ; il n’y en a jamais eu, il n’y en aura jamais (de semblable ? ) » En même temps, Mme de Grignan écrivait aussi des choses tristes et tendres sur leur nouvelle séparation. Elle avait souffert en voyant la chambre de sa mère toute grande ouverte : « Pourquoi vous allez-vous blesser à l’épée de voir ma chambre ouverte ? Qui est-ce qui vous pousse dans ce pays désert ? » Elle trouvait pour sa mère une parole vraiment charmante, et qui nous prouve que son humeur s’était adoucie pendant ce long commerce de quatre ans : c’est « qu’elle la regrettait comme on regrette la santé, » c’est-à-dire « comme le plaisir des autres plaisirs, » comme un bien exquis qu’on n’apprécie jamais mieux que quand on en est privé. Elle communiquait à sa mère une nouvelle de famille : c’est que Mme de Grignan, la fille de son mari, était venue se réfugier au couvent de Gif sans en avertir personne : « J’en suis, lui dit sa mère, plus fâchée que surprise ; elle nous portait tous sur ses épaules ; tous nos discours lui déplaisaient. » Autre nouvelle : il fallait rebâtir Grignan. « Quelle dépense hors de saison ! Il vous arrive des sortes de malheurs qui ne sont faits que pour vous. » Elle avait été à Gif voir Mlle de Grignan ; elle avait été malade. Pomponne avait une abbaye. Une autre nouvelle était le mariage de Mlle d’Alezac avec M. de Polignac. Mme de Grignan en parlait à sa mère d’une manière agréable et piquante : « L’état dans lequel vous me représentez M, le d’Alezac est trop charmant : c’est une petite pointe de vin qui réveille et réjouit toute une âme ; il ne faut pas s’étonner si elle en a une présentement… Je suis persuadée que M. de Polignac en a deux. » Le précepteur du marquis de Grignan, M. du Plessis, était tombé dans la pièce d’eau du bon abbé à Livry, probablement sans grand danger. Mme de Grignan plaisantait sur cette chute, et sa mère lui renvoie sa plaisanterie en ces termes : « Le bon abbé remercie M. du Plessis de l’honneur qu’il a fait à son canal ; cela lui paraît un