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trouvait assez aimable, et qu’ensuite on ne l’aimait plus ? Il est vrai que Mme de Sévigné ajoutait un nouveau trait : c’est que ce n’était pas tout d’abord que l’on trouvait sa fille aimable ; son abord était plutôt dédaigneux. Ainsi, elle commençait par la froideur : quand on avait brisé cette première glace, on trouvait un fond qui faisait désirer d’entrer dans son amitié, c’est le moment où elle était aimable ; mais si l’on voulait aller plus avant, on rencontrait une nouvelle barrière de glace semblable à la première, et on se retirait. En un mot, malgré son esprit, malgré sa beauté, malgré la force de son caractère, il y avait en elle un froid qui éloignait la sympathie. Elle le savait, elle en souffrait, et elle le disait avec cette clairvoyance que donne la supériorité de l’esprit.

À propos de ces refroidissemens qui se produisent de temps en temps et quelquefois pour toujours dans les affections, Mme de Grignan disait que l’amitié était un vieux carrosse où il y a toujours quelque chose à refaire. Mme de Sévigné exprimait son étonnement de cette pensée : « Je croyais tout le contraire, et que ce fût pour l’autre (l’amour) que ces dégingandemens fussent réservés. » Ces plaintes de Mme de Grignan sur les relâchemens de l’amitié pouvaient se rapporter soit à sa dame de compagnie Montgobert, soit à un voisin et ami, M, de Lagarde. Pour la première, nombre de lettres sont remplies d’allusions à ses jalousies et à ses froideurs. Mme de Sévigné, indulgente et voyant dans les cœurs, attribuait ces petites sécheresses à un excès d’attachement qui ne se trouvait pas satisfait. Elle conseillait d’aller droit à la source du mal par une explication franche et cordiale. Mme de Grignan y répugnait, toujours par la même cause, le défaut d’expansion. Il semble cependant que cette explication ait eu lieu et qu’elle ait eu le résultat que Mme de Sévigné avait prédit, car elle écrit : « Que dites-vous, ma chère enfant, de l’esprit de Montgobert ? ou plutôt de son cœur ? N’est-ce pas cela dont je vous répondais ? Je connaissais le fond ; il était caché sous des épines, sous des chagrins, sous des visions ; et tout cela était de l’amitié, de l’attachement et de la jalousie. Vous voyez qu’il ne faut pas juger sur les apparences. » Mme de Sévigné en jugeait de même du refroidissement de M. de Lagarde, dont Mme de Grignan se plaignait également et qu’elle décrivait en traits précis et fins : « Voici le portrait que vous en faites vous-même : un retranchement parfait de toutes sortes de liaisons, de communications et de sentimens, » froideur d’autant plus dangereuse « qu’elle est cachée sous des fleurs et couverte de beaucoup de paroles de bienséance. Ah la belle-amitié ! la belle amitié ! .. Tout cela changerai quand le moment sera venu. »