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correspondance, qui était le tout pour sa mère, n’était pour elle qu’un accessoire et peut-être un poids. Aussi, revenait-elle sans cesse sur la pauvreté, et la médiocrité de ses lettres ; elle les trouvait « insipides et sottes. » Sa mère lui répond : « Voilà deux mots qui n’ont jamais été faits pour vous. Vous n’avez qu’à penser et à dire : Tout est nouveau, tout est brillant, et d’un tour noble et agréable. » Tout en dépréciant ses propres lettres, elle avait des traits mordans pour caractériser celles des autres. Par exemple, elle disait que, dans les lettres de la princesse de Vaudemont, « tout était Brébeuf, » c’est-à-dire déclamatoire et emphatique, quoique la personne ne le fût pas : « Ah ! que la vision de Brébeuf est plaisante ! C’est justement cela : Tout est Brébeuf ! Cette application frappe l’imagination ; elle est juste et digne de vous. Il est vrai qu’il y a des gens dont le style est si différent qu’on ne les saurait reconnaître. »

Mme de Grignan annonce à sa mère qu’elle viendra bientôt à Paris : c’est un grand sujet de joie ; mais elle aimait à gâter ses joies, et, avant d’en jouir, elle en voyait la fin. La marquise lui reproche cet abus de philosophie : « Vous êtes si philosophe, ma très chère enfant, qu’il n’y a pas moyen de se réjouir avec vous ; vous anticipez sur vos espérances et vous passez par-dessus la possession de ce qu’on désire pour y voir la séparation. » Il semble même que Mme de Grignan se fît un système de mêler, à ses plaisirs des réflexions sérieuses « sur le mensonge éternel de nos projets. » Elle appelait cela « se laisser obscurcir, » dans la crainte d’un accident imprévu, « si la joie était toute pure et brillante. » Cette tournure d’esprit, qui rendait Mme de Grignan mécontente des choses, contribuait sans doute à la rendre aussi, comme nous l’avons vu, mécontente d’elle-même. Elle se voyait en noir et se jugeait sévèrement par excès d’idéal : « Vous êtes bien injuste dans le jugement que vous faites de vous ; vous dites que, d’abord, on vous croit assez aimable, et, qu’en vous connaissant davantage on ne vous aime plus ; c’est précisément le contraire. D’abord, on vous craint ; vous avez un air assez dédaigneux, on n’espère point être de vos amis ; mais, quand, on vous connaît, on vous adore et on s’attache entièrement à vous ; si quelqu’un paraît vous quitter, c’est parce qu’on vous aime et qui on est au désespoir de ne pas être aimé autant qu’on voudrait. » Dans le fait, y a-t-il un vrai désaccord entre ce portrait et celui que Mme de Grignan faisait d’elle-même ? Il nous semble que non. Ce charme qu’on trouvait d’abord dans son amitié, et ce refroidissement qui venait ensuite, parce qu’on n’était pas assez aimé, n’est-ce pas là, précisément, ce que disait la fière comtesse lorsqu’elle avouait que d’abord on la