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allusion dans le passage suivant : « Nous avons ri aux larmes, le bon abbé et moi, de l’histoire de la petite Madeleine. Vraiment, c’est bien à vous à dire que vous ne savez point narrer et que c’est mon affaire. Je vous dis que vous conduisez toute la dévotion de la petite Madeleine si plaisamment que ce conte ne doit rien à celui de cette hermitesse dont j’étais charmée. Je trouve que les hermites jouent de grands rôles en Provence. » Charles de Sévigné[1], prenant la plume après sa mère, s’égayait à son tour sur ce sujet : « Nous sommes tous fort édifiés de la dévotion de la petite Madeleine. Vous voyez bien qu’il n’est ferveur que de novice… Voyez où l’a jetée l’extrémité de son zèle. J’en souhaite autant à notre petite Marie ; mais je voudrais bien qu’elle me prît pour son hermite. »

Pour se distraire, pendant son voyage, d’une longue traversée sur la Saône, Mme de Grignan, avait lu le traité du père Le Bossu sur le Poème épique, mais elle n’en avait pas été charmée. Elle était peu sensible aux beautés épiques de l’antiquité. Dans la fameuse querelle, elle serait plutôt pour les modernes contre les anciens. Sa mère la renvoyait pour ce débat au marquis de Sévigné : « Mon fils vous répondra surtout ce que vous dites du poème épique. Je crains qu’il ne soit de votre avis par le mépris que je lui ai vu pour Énée. Cependant, tous les grands esprits sont dans le goût de ces anciennetés. » Mme de Sévigné, en sa qualité d’ancienne précieuse, n’est pas loin de penser comme sa fille : « Je crois, ma fille, que je serais fort de votre avis sur le poème épique : le clinquant du Tasse, m’a charmée ; je m’assure pourtant que vous vous accommoderez de Virgile. » Les héros d’Homère paraissaient grossiers à Mme de Grignan et elle en parlait sans respect : « Vous nous les ridiculisez extrêmement. Nous trouvons, comme vous dites, qu’il y a de la feuille qui chante à ce mélange des dieux et des hommes. Cependant il faut respecter le père Le Bossu. » — Elle lui dit encore : « Vous avez fait une rude campagne dans l’Iliade. » Cependant le marquis, de Sévigné, malgré ce qu’avait prédit sa mère, était du parti des anciens et me pardonnait pas l’hérésie de sa sœur : « Ne lisez point Virgile, lui écrivait-il ; je ne vous pardonnerais pas les injures que vous pourriez lui dire. Cependant si vous pouviez vous faire expliquer le sixième livre, et le neuf, où est l’aventure de Nisus et d’Euryale, vous y trouveriez du plaisir. Turnus vous paraîtrait

  1. Nous devons à notre savant confrère de l’Institut M. Chéruel, si versé dans les choses du XVIIe siècle, la rectification d’une petite erreur commise dans le précédent article. Nous avions appelé Charles de Sévigné le chevalier, mais il n’était pas chevalier ; il était marquis, du chef de son père. Les chevaliers appartenaient toujours à un ordre mi-religieux et mi-militaire. La confusion avait d’autant plus d’inconvéniens qu’il y avait un chevalier de Sévigné, lequel était l’oncle et non le fils de Mme de Sévigné.