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me dites mille douceurs sur l’envie que vous avez de faire un voyage avec moi, et de causer et de lire ! .. Il y a une personne qui me disait l’autre jour qu’avec toute la tendresse que vous avez pour moi, vous n’en faites pas le profit que vous pourriez en faire ; mais c’est une folie que je vous dis là ; et je ne voudrais être aimable que pour être autant dans votre goût que je suis dans votre cœur. »

Ce fut quelques jours après son retour que Mme de Grignan perdit le pauvre enfant né avant terme dont nous avons parlé plus haut. Cette perte, à laquelle ; on s’attendait, paraît avoir été supportée assez facilement par sa mère, qui n’avait pas affecté un excès de sensibilité. Aussi Mme de Sévigné lui écrivait-elle : « Je ne sais où vous prenez cette dureté : je ne la trouve que pour vous ; mais pour moi et pour tout ce que vous devez aimer, vous n’êtes que trop sensible ; vous en êtes dévorée et consumée. » Doit-on croire que c’est ici la mère qui prête sa sensibilité à sa fille, ou ne serait-ce pas qu’elle la connaissait mieux qu’elle ne se connaissait elle-même, qu’elle la voyait souffrir d’une sensibilité au dedans qui ne sait point s’épancher et qui se dévore et se consume elle-même ? On voit encore que les autres enfans ne souffrirent pas beaucoup de la perte de leur frère : « Je suis étonnée que le petit marquis et sa sœur n’aient point été fâchés du petit frère ; cherchons un peu où ils auraient pris ce cœur tranquille. » Mme de Grignan trouvait dans le christianisme une source de consolation : « Vous dites si bien : Il faut faire l’honneur au christianisme de ne pas pleurer le bonheur de ces petits anges. » Après la perte de cet enfant, Mme de Grignan avait encore auprès d’elle, pour se consoler, son fils le marquis, et sa fille Pauline, plus tard Mme de Simiane. Mais elle craignait dans son austérité de se laisser aller à l’amour maternel ; elle semblait y voir une faiblesse ; sa mère, au contraire, la rassurait et l’encourageait tendrement : « Aimez, aimez Pauline ; donnez-vous cet amusement ; ne vous martyrisez pas à vous ôter cette petit » personne. Tâtez, tâtez un peu de l’amour maternel. On le doit trouver assez joli quand c’est un choix du cœur. » Pendant que Pauline était auprès de sa mère, Marie-Blanche était au couvent ; et sa mère n’était pas sans en souffrir quelque peu ; car Mme de Sévigné lui écrivait : « Vous m’attendrissez pour la petite ; je la crois jolie comme un ange, vos filles d’Aix vous la gâteront entièrement ; du jour qu’elle y sera, il faudra dire adieu à tous ses charmes. Me pourriez-vous pas l’amener ? Hélas ! on n’a que sa pauvre vie en ce monde : pourquoi s’ôter ces petits plaisirs-là ? »

La perte d’un petit enfant n’empêchait pas les contes un peu gaillards d’aller leur train : on sait que les deux dames ne s’en faisaient pas faute quand elles en trouvaient l’occasion. C’est à une histoire de ce genre racontée par Mme de Grignan que sa mère fait