Page:Revue des Deux Mondes - 1884 - tome 65.djvu/237

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

toutes les mesures de prévoyance et de sûreté, d’agir toujours militairement. Il ne l’a point fait, et la conséquence a été ce pénible incident de Lang-Son, qui, en coûtant la vie à quelques-uns de nos soldats, a mis en jeu l’honneur du drapeau, qui a tout gâté et tout compromis au moment où l’on croyait tout terminé. L’imprévoyance de M. le général Millot a été certainement une des causes de ce contre-temps ; mais il est bien clair que la principale responsabilité est encore à une diplomatie qui ne semble pas toujours bien sérieuse, qui met en vérité un peu de fantaisie dans tout cet imbroglio chinois.

Qu’est-ce à dire, en effet ? C’est le 13 mai que M. le commandant Fournier a la bonne fortune de signer le traité de Tien-Tsin avec Li-Hung-Tchang, celui que M. Jules Ferry appelle le grand réformateur, et par ce traité, la Chine s’engage à évacuer « immédiatement » les places de la frontière du Tonkin. Immédiatement, c’est fort bien ; mais aucune date n’est indiquée, et M. le président du conseil est pressé. À peine le traité est-il signé, six jours plus tard, M. le commandant Fournier reçoit l’ordre de serrer la question de plus près avec le vice-roi du Tcheli, de remettre à Li-Hung-Tchang une note fixant à court délai la date de l’évacuation, et le plénipotentiaire français se conforme naturellement à ses instructions ; il remet une note portant qu’au 6 juin les places de la frontière du Tonkin seront occupées par les Français. Y a-t-il une réponse de Li-Hung-Tchang, un acquiescement officiel ? On ne voit rien de clair sur ce point, et M. le président du conseil conclut du silence du diplomate chinois que la date a été acceptée, que la note a pris dès ce moment le caractère d’un engagement international ; il se repose avec confiance dans cette persuasion que « rien n’a pu faire supposer à notre plénipotentiaire que cet arrangement ne fût pas agréé par son interlocuteur. » Il eût été plus prudent et plus simple d’en conclure que, si le vice-roi de Tien-Tsin n’avait pas donné une réponse écrite, c’est qu’il n’avait pas voulu ou pu la donner, qu’il restait un malentendu à éclaircir, qu’il y avait à forcer la diplomatie chinoise dans son dernier retranchement. Est-ce qu’il y a dans l’ordre diplomatique des engagemens par voie de prétérition ou d’adhésion tacite ? Rien de semblable ne s’était produit jusqu’ici, quoi qu’en dise M. le président du conseil.

On a agi loyalement et on a rencontré la mauvaise foi, nous le voulons bien ; on aurait dû un peu s’y attendre, on s’est exposé assez gratuitement à ces difficultés nouvelles qui se sont élevées, qu’on réussira certainement à surmonter, mais qu’on aurait pu détourner ou atténuer en les prévoyant. La vérité est que, depuis quelques années, il s’introduit par degrés dans nos affaires extérieures des habitudes de légèreté et de relâchement toujours périlleuses, eût-on à traiter avec des Chinois, et que M. le président du conseil lui-même, avec toute