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Céleste-Empire, en réformateur de son pays. C’était, en effet, un acte d’une bonne apparence, d’une rassurante signification, puisque, par le traité de Tien-Tsin, la Chine se décidait à reconnaître notre établissement sur le Fleuve Rouge et s’engageait à rappeler ses forces régulières des frontières du Tonkin. On l’a cru ainsi un moment, et M. le président du conseil, fier de son succès, trouvait là, pour la rentrée des chambres, au mois de mai, l’occasion d’un de ces coups de théâtre qui semblent faire partie de sa politique. Malheureusement, ce n’était là encore qu’un mirage. Avant que quelques jours fussent écoulés, on avait un nouveau mécompte. Le chef des forces françaises, M. le général Millot, expédiait une colonne à la frontière du Tonkin, sur la place de Lang-Son, qui devait être occupée, et, sur son chemin, cette colonne rencontrait plus que jamais des forces chinoises décidées à résister ; elle essuyait même des pertes assez sérieuses, à part l’ennui de se trouver impuissante devant des Chinois, et elle se voyait obligée de se retirer à quelque distance, sur Bac-Lé.

Dès lors, tout était à recommencer, tout se trouvait manifestement remis en question par des hostilités qui démentaient les engagemens du traité de Tien-Tsin. La France, offensée, a aussitôt réclamé des réparations et une indemnité qui ne lui ont pas été accordées, ou qui ne lui ont été accordées qu’en partie et d’une manière évasive. Elle a expédié depuis quelques semaines, depuis quelques jours, ultimatum sur ultimatum en appuyant la diplomatie par la force. Elle a commencé par faire bombarder Kelung, dans l’île de Formose, et bientôt le chef des forces navales françaises devant la rivière de Min, M. l’amiral Courbet, a attaqué le grand arsenal chinois, Fou-Tcheou, et les forts Mingan et Kampaï, qu’il a détruits par son feu avant de gagner la haute mer. Tandis qu’une certaine action s’engage ainsi, notre chargé d’affaires a quitté Pékin et le représentant du Céleste-Empire a quitté Paris. C’est là que nous en sommes à l’heure qu’il est avec la Chine, après tant de négociations fuyantes et insaisissables ; c’est là qu’on était à peu près déjà au moment où les chambres se sont séparées, laissant au gouvernement, avec les crédits qu’il demandait, la liberté de ses résolutions.

Est-ce la guerre ? Est-ce encore la paix ? La question peut sembler étrange. Le canon de l’amiral Courbet devant Fou-Tcheou et de l’amiral Lespès devant Kelung semblerait dire assez haut que c’est la guerre. M. le président du conseil nous a assuré dans la dernière séance de la session ; il reste probablement persuadé aujourd’hui que le bombardement n’est qu’une manière de négocier, et comme il n’a pas déclaré la guerre à la Chine, comme la Chine n’a pas déclaré la guerre à la France, il ne voit rien de changé ; il s’en tient au dernier vote de confiance qui lui donne la mission de maintenir avec fermeté le traité de