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de Port-Royal des Champs. Qui croira que le seul intérêt de la religion lui dictât de tels procédés ? Mais je ne sais si la violence de ses sentimens ne se marque pas mieux encore dans l’explosion de joie triomphante avec laquelle il accueillit la publication de la fameuse bulle Unigenitus ? « Je vous dois, mon révérend père, écrit-il au père Daubenton, une des plus grandes consolations que j’aie ressenties depuis que je suis au monde : c’est celle de lire la nouvelle constitution contre le livre du père Quesnel… Tous les vrais catholiques doivent remercier Dieu et bénir le docte pontife qui a frappé d’une main si forte et si mesurée un si grand coup contre l’erreur… Plus cette décision trouve de résistance, plus il faut conclure qu’elle était absolument nécessaire pour arrêter le torrent de la contagion… Il est naturel que le roi, qui est sage et si bien intentionné, appuie fortement l’église, comme il l’a promis… C’est une grande occasion de faire sentir toute l’autorité du siège de Saint-Pierre… C’est maintenant qu’il faut mettre la cognée à la racine de l’arbre pour abattre le tronc. » Éternelle ironie des choses ! Quels cris ou plutôt quelles clameurs d’indignation ne pousserait-on pas si Bossuet, quatorze ans plus tôt, eût accueilli d’un semblable hosannah le bref qui condamnait Fénelon !

Je sais bien ce que l’on peut dire : que les mots, ici et ailleurs, dépassent la pensée ; que Fénelon, comme on le lui reprochait de son temps, « extrême en tout, » n’est jamais ou presque jamais dans la juste mesure ; et qu’ainsi, pour être équitable, il faut toujours commencer par rabattre de l’expression passionnée qu’il donne à ses sentimens. Oui ; s’il écrit au duc de Chaulnes de faire de lui « comme d’un mouchoir, qu’on prend, qu’on laisse, qu’on chiffonne, » c’est pure métaphore, comme quand il écrit à Bossuet qu’il se remet entre ses mains avec a la docilité d’un petit enfant ; » sauf à se redresser de toute sa hauteur et se raidir dans sa dignité s’ils s’avisent de le prendre au mot. De même, quand il écrit au duc de Chevreuse « qu’il donnerait sa vie pour son avancement selon Dieu, » ou au duc de Bourgogne « qu’il donnerait mille vies comme une goutte d’eau, pour le voir tel que Dieu le veut, » vous ne l’en croyez pas ; ce sont là figures de diction, gentillesses épistolaires, façons de dire qui vont au-delà de ce qu’il veut dire. Et pareillement encore, quand il demande que l’on fasse enfin sentir aux jansénistes « toute l’autorité du siège de Saint-Pierre, « appuyée de celle du roi, c’est comme jadis, au temps des missions de Saintonge, quand il demandait « qu’on fît sentir aux nouveaux convertis une main toujours levée pour leur faire du mal, » si par hasard ils osaient résister à la douceur de ses instructions. Il en dit plus qu’il n’en voudrait faire, et même qu’il ne voudrait qu’on en fît. Bien qu’il connaisse comme personne le poids et le titre des mots, il se laisse emporter à la rapidité de sa vive imagination. Et il ne faut pas l’entendre à la rigueur,