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prétextes, et on ne commence à la sentir que quand elle a empoisonné le cœur. » Fénelon ne l’a sentie que fort tard, seulement après 1712, quand la mort eut emporté dans la tombe sa dernière espérance. Encore devons-nous dire que de la profondeur même de sa chute il tenta, pour se relever, un suprême effort, puisque c’est alors, en effet, qu’on le vit se tourner vers le duc d’Orléans, et, — chose un peu bien singulière, — quoiqu’il ne fût pas éloigné de croire aux accusations monstrueuses que la voix populaire dirigeait alors contre ce prince. Si ce n’est pas là de l’ambition, je ne vois guère de passion qui puisse en mériter le nom. Concluons donc que, pour quitter le monde, Fénelon attendit que le monde l’eût quitté. Son inquiète et fiévreuse ardeur ne s’apaisa que lorsqu’elle manqua de son dernier support. Et, selon nous, c’est tout au plus si, dans les deux dernières années de son existence, on discerne quelque chose en lui de cette lutte chrétienne que M. Emmanuel de Broglie croit voir commencer avec les premiers jours de l’exil de Cambrai.

Il n’est pas jusqu’au zèle dont il poursuivit le jansénisme qui ne soit lui-même une preuve de plus de cette persistante ambition. Car, ne s’acharne-t-il pas contre un « parti, » selon son expression, plus encore que contre une a secte ? » Et n’y va-t-il pas à ses yeux du gouvernement même du royaume autant que de la pureté de la foi catholique ? À ce propos, on lui a reproché, on lui reproche encore, ayant lui-même été condamné pour son quiétisme, d’avoir si violemment combattu le jansénisme. Le reproche n’est pas fondé. Convaincu que les progrès du jansénisme faisaient courir les plus grands dangers, non-seulement à l’église de France, mais encore à la morale chrétienne, Fénelon remplissait strictement son devoir de pasteur en défendant, préservant et gardant, selon le mot de l’Apôtre, le dépôt de la foi. Tous d’ailleurs, tant que nous sommes, s’il nous est arrivé de tomber dans l’erreur, ce n’est pas une raison de nous considérer comme à jamais désarmés contre elle, et notre droit demeure entier, aussi souvent que nous la rencontrons, de la signaler et de la redresser chez les autres. Mais peut-être alors sommes-nous tenus, par convenance autant que par sagesse, d’user de quelques ménagemens, et, malheureusement pour lui, c’est ici ce que n’a pas fait Fénelon. Ajoutez que, vaincu jadis par une espèce de coalition des gallicans et des jansénistes, l’âpreté de sa persécution semblait bien moins procéder d’aucun motif de foi que du désir tout humain d’exercer à son tour de victorieuses représailles. Ce qu’au moins on ne peut contester, c’est que son plus vif désir, comme une certaine lettre en témoigne, eût été d’obliger Bossuet, soupçonné de tout temps d’incliner pour les jansénistes, à s’expliquer sur la matière et lui procurer ainsi l’occasion de quelque revanche éclatante. A défaut de Bossuet, mort trop tôt, en