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fortifications, de grands espaces libres ; on peut même prévoir que, vers l’ouest, dans la direction de la Seine, l’enceinte fortifiée s’ouvrira pour faire place à des quartiers nouveaux, la ligne de défense étant reportée sur la rive du fleuve. Londres contient aujourd’hui 3,800,000 habitans. Berlin, Vienne, Bruxelles, voient augmenter chaque année le chiffre de leur population. C’est la loi des capitales. Plus qu’aucune autre capitale, Paris attire et retient les étrangers comme les nationaux, de même qu’il sert d’hôtellerie aux voyageurs qui se renouvellent incessamment entre l’Europe et l’Amérique. Encore quelques années, et la population de Paris atteindra sans effort le troisième million.

La statistique a dressé le compte des différentes catégories et professions entre lesquelles se partage la population parisienne. Ce qui frappe tout d’abord, c’est que, sur ce total de 2,240,000 habitans, 721,000 seulement, soit moins du tiers, sont nés à Paris ; 86,000 sont nés dans les autres communes du département de la Seine ; 1,266,000, dans les départemens ; 167,000, à l’étranger. Paris s’accroît principalement par l’immigration. Le Parisien pur sang y est presque rare, il est envahi et refoulé par des hordes d’intrus qui arrivent de tous les points cardinaux, et il émigré à son tour. Si tout le monde vient à Paris, l’on peut dire que le Parisien va partout. C’est l’élément ouvrier qui figure, pour la plus forte part, dans l’immigration qui afflue vers la capitale. Paris n’attire pas seulement les étrangers opulens et les provinciaux après fortune faite ; il est en même temps et avant tout la grande cité du travail et comme un immense réservoir de main-d’œuvre et de salaires. Les familles d’ouvriers composent la moitié de la population de Paris. C’est une proportion considérable, dont il importe d’étudier les causes et les effets.

Avant 1860, de nombreuses usines s’étaient installées dans les communes suburbaines voisines du principal centre de consommation et exemptes des droits d’octroi. Lorsque l’annexion fut décrétée, quelques-unes se déplacèrent afin d’échapper aux taxes ; mais la plupart demeurèrent et furent comprises, avec leur personnel d’ouvriers, dans l’enceinte des fortifications. De là une première cause d’augmentation dans le chiffre de la population ouvrière. En même temps, les travaux de construction et de voirie prirent un développement inusité. Paris se transformait ; toutes les industries étaient assurées d’une longue période d’activité, et l’industrie parisienne, à laquelle les traités de commerce ouvraient des débouchés plus étendus, était très prospère. Il y eut donc, pour tous les genres de travaux, un abondant emploi de la main-d’œuvre, une hausse très sensible dans le taux des salaires, et, par suite, une