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je crois, de triompher dans notre marine même, quel que puisse être le goût prononcé et héréditaire de notre race pour les solutions méthodiques.

Si la chasse du poste tend à devenir la seule règle tactique de nos escadres, c’est une raison de plus pour que j’insiste sur les mérites du remarquable travail sorti des délibérations de la commission de 1857. Ce travail, unique en son genre, il faut le conserver dans son intégrité, sans amendemens et sans mutilations. Nous nous réserverons ainsi la faculté de manœuvrer, suivant les circonstances, par voie de formations ou par voie d’évolutions régulières ; nous aurons à notre disposition deux tactiques : la tactique simplifiée, qui convient à des flottes de haut bord ; la tactique rigoureusement géométrique, dont l’emploi s’impose aux grande flottilles de l’avenir.

Ces grandes flottilles, qu’en voulons-nous donc faire ? « Les Français, s’écriait récemment un des collaborateurs de la Rivista marittima, écrivain qui n’est probablement pas le premier venu, ne s’occupent plus guère d’autre chose, quand ils portent leur attention sur des questions maritimes, que d’étudier et de formuler des plans de descente[1]. » Nos voisins des Alpes sont vraiment trop portés à nous attribuer des projets sinistres ; ils s’exagèrent beaucoup, en tous cas, les ressources dont nous disposons pour opérer une diversion navale. Sommes-nous donc en mesure, comme ils l’affirment, de jeter sur leur littoral, dès l’ouverture des hostilités, — si jamais des hostilités pouvaient éclater entre deux nations que tant de souvenirs et d’intérêts communs devraient étroitement unir, — un corps d’armée de quarante ou de cinquante mille hommes, corps suivi, à un intervalle très rapproché, d’une autre armée infiniment plus nombreuse ? « En moins de seize heures, disent-ils, les forces assemblées à Toulon seraient mouillées devant la plage de Vado ; vingt-trois heures de marche les porteraient de Toulon sur la rade de Livourne ; trente-sept, quarante-six, cinquante, cinquante-huit heures suffiraient pour les amener dans les baies de Civita-Vecchia, de Gaëte, de Naples ou de Palerme. » La France posséderait en ce moment, suivant des calculs que j’abrège, vingt-huit vaisseaux ou frégates cuirassés, — soixante-neuf, affirme le capitaine de vaisseau Cottrau, — vingt-six croiseurs et soixante-douze transports, tous navires à flot, tous navires disponibles et prêts à prendre, au premier ordre venu de Paris, armement. Les torpilleurs et les bâtimens de flottille, au nombre de cent

  1. Appunti sulla capacità d’invasione marittima della Francia. (Rivista marittima, gennaio 1844.