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éclairée au loin par toute une avant-garde de bâtimens légers. Les avisos sont, en quelque sorte, notre cavalerie navale ; ce sont eux qui doivent, suivant l’expression consacrée, établir le contact. « Si l’on m’ouvrait le cœur, disait Nelson avant Aboukir, on y lirait ces mots : « Des frégates ! Des frégates ! » Ce manque de frégates a de tout temps causé de cruelles insomnies aux navarques. « Souvent, dit l’auteur byzantin, qui semble en savoir plus long à ce sujet que l’empereur Léon et Végèce, ignorant où sont les ennemis, nous les rencontrons à l’improviste. » Accident semblable, si fondées qu’aient pu être, à un moment donné, les plaintes de Nelson, est rarement arrivé à une flotte anglaise. Chaque fois que j’ai eu la bonne fortune de pouvoir naviguer de conserve avec les escadres de nos alliés d’outre-Manche, j’ai été frappé de la puissance des traditions dont s’était imprégnée une marine qui, durant vingt années, ne prit ses quartiers d’hiver qu’à l’abri de quelques pâtés de roches semés au large de nos côtes. J’aurais été bien étonné si l’on m’eût dit alors que toutes les précautions judicieuses que j’admirais, non sans en éprouver peut-être une secrète envie, n’étaient que la stricte application des principes universellement admis dans la marine byzantine dès le Ve siècle : « A la mer comme à terre, professaient, à cette époque, les Byzantins, il faut faire explorer le terrain devant soi. Sur mer, ce seront les vaisseaux les plus légers et les plus rapides que l’on chargera de cette mission. On leur donnera des rameurs vigoureux, des équipages d’un courage éprouvé et capables de soutenir un long effort. L’office de ces explorateurs n’est pas de combattre ; ce qu’on attend d’eux, c’est qu’ils reconnaissent l’ennemi et viennent rendre compte de ce qu’ils ont découvert. En employant quatre explorateurs échelonnés à des intervalles réguliers, le stratège peut aisément s’éclairer à six milles au moins de distance : les vaisseaux les plus rapprochés de la flotte répéteront les signaux des vaisseaux les plus avancés. Les signaux de mer se font à l’aide de pavillons ou de colonnes de fumée. Le pavillon se détache mieux sur l’eau ; la fumée s’aperçoit de plus loin, car elle peut s’élever très haut dans les airs. Si la flotte se trouve placée entre les explorateurs et le soleil, il existe un moyen plus sûr encore de lui transmettre les avis qu’on veut porter à sa connaissance. Un miroir tourné vers le vaisseau auquel le signal s’adresse, une épée nue agitée rapidement projettent leurs éclats à de grandes distances. »

Eh quoi ! déjà des signaux optiques ! Les Byzantins sont ici en avance sur nous, car les signaux optiques dont la géodésie fait depuis quelque temps un si utile usager nos flottes ne les ont jusqu’à présent employés que comme signaux de nuit. En revanche,