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pilote-major de la casa de contratacion. Ce pilote, en l’année 1583, s’appelait le señor Alonso de Chiavez. Les aspirans pilotes ne comparaissaient devant lui qu’avec terreur. Il leur fallait d’abord établir par des pièces probantes qu’ils étaient nés dans les royaumes d’Espagne, qu’ils n’avaient dans les veines ni sang nègre ni sang moresque ou juif. Cette preuve faite, le pilote-major les admettait à produire les attestations de cinq ou six pilotes jurés, constatant que le candidat était bon marin et suffisamment instruit dans le pilotage ; puis, après avoir bien examiné, bien pesé leurs certificats, il les livrait au professeur de navigation, le señor Rodriguez Zamorano. Ce dernier se chargeait de parfaire en deux mois une éducation déjà si avancée. Au bout de deux mois de leçons et d’exercices, les candidats sont appelés devant la commission d’examen, commission présidée par le pilote-major et qui ne compte pas moins de vingt-cinq membres, tous pilotes jurés.

« Sur quelle partie des Indes voulez-vous être examiné ? demande au candidat le président. Est-ce sur la Nouvelle-Espagne, sur la colonie de Nombre-de-Dios, sur Saint-Domingue, sur Puerto-Rico, sur Cuba ? » Le futur pilote doit avoir fait son choix à l’avance, car il ne saurait prétendre à exercer les fonctions difficiles auxquelles il aspire dans toutes les mers qui baignent les vastes possessions de sa majesté catholique ; il s’offre à prendre la conduite du vaisseau pour tel ou tel voyage et non pas pour une traversée indéterminée. Le pilote-major prend acte de sa déclaration, et, lui montrant du doigt une carte marine étendue sur la table : « Partez de San Lucar, lui dit-il, et faites route pour les Canaries ; des Canaries, rendez-vous aux Indes ; revenez ensuite des Indes en Espagne et ramenez votre vaisseau à l’entrée du Guadalquivir. » Des mains du pilote-major, le patient, sans avoir le loisir de reprendre haleine, passe successivement sous la férule des vingt-cinq autres pilotes. L’un lui demande : « Si, dans le cours de votre navigation, il survient du gros temps et un vent contraire, quelles précautions prendrez-vous pour diminuer la fatigue du navire ? » Un autre l’interroge « sur les règles du soleil et de l’étoile polaire, sur la manière d’employer la déclinaison du soleil à toutes les époques de l’année ; » un troisième veut entendre la description complète des côtes et des amers qui se trouvent sur la route, depuis le point de départ jusqu’au point d’arrivée. Les questions peu à peu se pressent et se compliquent : ce n’est plus un aspirant pilote, c’est un apprenti capitaine qu’on semble examiner. « Si une tempête vient à briser vos mâts, que ferez-vous ? Si une voie d’eau se déclare ? Si le gouvernail est démonté ? » Pour être reçu pilote, il faut avoir réponse à tous ces incidens. « Un bon pilote, dit le père Fournier, fait à