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l’exemple d’Hippalus, les flottes marchandes d’Alexandrie à travers les grandes solitudes de l’Océan indien, ne méritaient-ils pas un autre nom ? N’étaient-ils pas, dans toute la force du terme, des pilotes hauturiers ? Quels regrets nous devons éprouver de n’avoir rien pu apprendre encore des procédés de navigation usités dans ces temps lointains ! L’érudition moderne a-t-elle bien fouillé toutes les bibliothèques ? N’existe-t-il pas sous la lave d’Herculanum ou sous les cendres de Pompéi, peut-être au fond d’un de ces mystérieux hypogées qui ont déjà livré tant de trésors à nos recherches pieusement indiscrètes, n’existe-t-il pas, n’est-il pas possible, dites-moi, qu’il existe quelque papyrus destiné à nous révéler par un jet soudain de lumière que ce ne sont pas les Chinois, mais bien les Grecs d’Alexandrie, qui ont mis à profit la propriété merveilleuse possédée par l’aimant ? que ce sont eux aussi qui les premiers ont essayé de diriger leur route en mesurant la distance angulaire des astres au zénith, ou leur hauteur au-dessus de l’horizon ? La découverte, si elle se produisait, ferait certainement sensation ; elle n’aurait rien au fond qui nous dût surprendre, car Vasco de Gama trouva les Arabes de la côte de Mozambique en possession de ce double secret, et d’où les Arabes pouvaient-ils le tenir, si ce n’est des alexandrins ?

Le commerce de l’Egypte avec l’extrême Orient avait pris, durant les premiers siècles de l’empire romain, un immense développement. Lorsque, en l’année 409 de notre ère, Alaric vint mettre le siège devant Rome, ce furent les denrées de l’Inde qui payèrent en partie la rançon de la ville éternelle : Rome livra au vainqueur, outre une énorme somme en or et en argent, quatre mille robes de soie et trois mille livres de poivre. Si Rome, abandonnée par la majeure partie de ses habitans, par les familles patriciennes surtout qui avaient suivi le premier empereur chrétien à Byzance, si Rome, réduite à une population de un million deux cent mille âmes, pouvait regorger à ce point de soieries et d’épices, quelle profusion de produits orientaux n’eût-on pas rencontrée dans la nouvelle capitale assise par Constantin sur les rives du Bosphore ! Constantinople dictait encore, à cette époque, des lois à l’Egypte ; elle continua de lui en dicter, de l’année 364 à l’année 616 : Rome ne recevait probablement que par l’entremise de sa puissante rivale les richesses qui payèrent la retraite d’Alaric.

Il est bien avéré aujourd’hui qu’au cours du Ve et du VIe siècles de notre ère, des relations incessantes existaient entre les ports de la mer Erythrée et les côtes de l’Inde. Qui n’a entendu parler de cette communauté chrétienne que les Portugais retrouvèrent, en l’année 1503, sur le littoral où ils s’imaginaient apporter les