Page:Revue des Deux Mondes - 1884 - tome 64.djvu/937

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

le monde, mais une légitime satisfaction de lui-même brille entre chaque ligne. Or il n’est pas de meilleur remède au pessimisme que le contentement de soi.


En regardant une de mes photographies avec attention, il me vint à l’idée que je ressemblais à Talleyrand. Je l’ai vu plusieurs fois en 1808. A quelques jours de là, je me trouvai à table à côté d’un vieil Anglais ; après quelques mots échangés, il me dit en confidence : « Monsieur, dois-je vous dire à qui vous ressemblez ? A Talleyrand ? , avec qui je me suis rencontré et entretenu souvent dans ma jeunesse… » Warakœnig me dit beaucoup de choses flatteuses sur mon aspect extérieur, qui est, parait-il, imposant.


A l’égard de ses contemporains, ses lettres débordent de mépris. Hormis Kant et Goethe, il n’est pas un nom célèbre en Allemagne qu’il ne traîne dans la boue. C’est tout un répertoire d’invectives, surtout à l’adresse des matérialistes. « Pourvoyeurs de clystères, lécheurs de lard, » sont, de tous les termes qu’il emploie, les plus adoucis. Il n’est plus ici question de règles de politesse du jésuite espagnol Balthasar Gracian. La grossièreté allemande se donne libre carrière. Il considérait la doctrine matérialiste comme intolérable, « fausse, absurde et bête, fille de l’ignorance, de la paresse, de la pipe, du cigare et de la manie politique, capable d’empoisonner à la fois la tête et le cœur. » Il voyait sortir de la poche des matérialistes « la loque rouge de leur république de saltimbanques M et se réjouissait quand il apprenait qu’on avait suspendu leurs cours. Les autres professeurs de philosophie ne sont pas mieux traités. Un nom surtout inspire ses sarcasmes, le nom de l’usurpateur, qui est là devant son soleil, ce Hegel, « avec sa trogne de marchand de bière, de Caliban intellectuel. » Il recommande aux tuteurs de faire enseigner l’hégélianisme à leurs pupilles afin de les abrutir par là et de les dépouiller plus aisément de leur patrimoine. Quel n’est pas son triomphe ! Les hégéliens maintenant se convertissent en foule, il rejette dans l’ombre ce rival abhorré, qu’il voudrait ressusciter pour le rendre témoin de ses éclatans succès.

Ses ouvrages étaient l’objet de polémiques passionnées. Il s’accommodait également du blâme et de la louange. Les journaux ne servaient, selon lui, qu’à donner le coup de cloche. Ce qui importe, ce n’est pas l’opinion des journalistes, c’est que votre nom ne soit pas passé sous silence. Apprenait-il qu’un pasteur ou un capucin tonnait contre lui du haut de la chaire : « Parfait ! parfait ! » s’écriait-il. C’était ajouter à ses ouvrages l’attrait du fruit défendu.

Frauenstædt l’invitait un jour à solliciter une décoration, un fauteuil d’académie. « Je vous remercie, lui répond-il, pour les