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pourraient, par les travaux et les emplois qu’ils auraient à distribuer, exercer une grande influence sur les élections et peser sur l’administration. Beaucoup d’hommes politiques estimaient que la raison d’état ne permettait pas à un gouvernement aussi nouvellement établi et encore mal affermi de se dessaisir aussi complètement en une matière de cette importance. La commission parlementaire chargée d’examiner le traité, demanda à MM. de Rothschild et Talabot des modifications auxquelles ils refusèrent de consentir, et cette œuvre si nécessaire parut encore une fois compromise.

Ce fut alors qu’intervint inopinément un homme d’une vive intelligence et d’un caractère entreprenant, M. Bastogi, qui avait été ministre des finances avec M. de Cavour, mais qui avait abandonné la politique pour les affaires. M. Bastogi s’offrit à former pour la construction et l’exploitation du réseau méridional une compagnie exclusivement italienne, sans liens ni rapports avec les compagnies déjà existantes, et qui demeurerait indépendante de celles-ci. Cette proposition donnait satisfaction à toutes les objections élevées par la commission parlementaire, et elle fut accueillie avec enthousiasme par le parlement comme le signal d’un réveil de l’esprit d’entreprise et d’association en Italie et comme une première et décisive étape vers l’affranchissement industriel et financier du nouveau royaume. La loi du 21 août 1862 autorisa le gouvernement à traiter aux conditions offertes par M. Bastogi et, trois jours après, une convention en règle rendit celui-ci concessionnaire de la ligne parallèle à l’Adriatique, d’Ancône à Otrante par Pescara, Foggia, Bari, Brindisi et Lecce, avec embranchement de Bari à Tarente, d’une ligue transversale de Naples à Foggia, et de quelques petites lignes se rattachant aux deux premières. Toutefois le réseau méridional ne fut définitivement constitué que par la loi de 1865, à la suite des arrangemens conclus par le gouvernement avec la Société générale des chemins de fer romains. La ligne de Bologne à Ancône, avec embranchement sur Ravenne, passa dans le réseau de la compagnie des chemins de fer méridionaux, qui se trouve exploiter la plus longue des lignes italiennes, car la ligne de Bologne à Otrante ne compte pas moins de 846 kilomètres, soit à 18 kilomètres près la distance de Paris à Marseille, et la ligne de Naples à Foggia en compte 197. Quant à la ligue de Voguera à Brescia, dont elle était également concessionnaire, la société fut autorisée à en affermer l’exploitation à la Société de la Haute-Italie. Pour les autres lignes, il lui était accordé par l’état une subvention kilométrique annuelle de 20,000 francs, qui devait décroître à mesure que le produit brut de l’exploitation s’élèverait. Nous aurons à revenir sur le jeu de cette sorte d’échelle mobile.