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Enfin, l’étude de la végétation éocène en Europe nous apprend, par la prédominance des formes maigres, coriaces et de petite taille, que le climat régnant de cet âge était à la fois chaud et sec. Les pluies probablement périodiques et succédant à un été serein devaient être automnales ou hivernales. C’est donc au-delà, vers les alentours du pôle, comme nous le prouve ce que nous savons et des végétaux eux-mêmes et de l’abondance des eaux lacustres au Groenland, au Spitzberg et sur la terre de Grinnell, qu’avaient lieu les précipitations les plus fréquentes. Là se déversaient les masses nuageuses qu’une zone d’aspiration et une source de vapeurs atmosphériques, plus que double en étendue, mais plus que quadruple en puissance, devaient-pousser vers le nord, pour les résoudre en pluie. C’est dans une solution ainsi comprise du problème météorologique des périodes antérieures à la nôtre qu’il faut surtout chercher le secret de ces lacs, de ces lagunes marécageuses, de ces lignites déposés sur une si grande échelle ; enfin, de cette flore si luxuriante et si fraîche, si bien adaptée à des saisons tièdes et pluvieuses, que l’Europe elle-même posséda après l’éocène et dont elle emprunta à l’extrême Nord les principaux élémens.

Qu’arrive-t-il, en effet ? — A mesure que le refroidissement polaire fait de nouveaux progrès, la zone d’aspiration se resserre et remonte de moins en moins vers le cercle polaire ; les précipitations aqueuses extra-tropicales suivent le même chemin, c’est-à-dire rétrogradent peu à peu et cessent de coïncider justement avec les régions arctiques. C’est là ce qui explique pourquoi l’Europe devient humide à son tour, se couvre de lacs, produit des lignites et reçoit, lors de l’aquitanien, une bonne partie des espèces auparavant arctiques. Pour les alentours du pôle qui tend à perdre ces mêmes espèces, c’est une première cause d’appauvrissement ; mais la lenteur du mouvement résulte aussi de cette circonstance que l’Europe, tout en gagnant en humidité, ne perd pas beaucoup en chaleur à l’origine, puisqu’elle conserve les palmiers qui cependant commencent à diminuer de fréquence et d’ampleur.

Le mouvement a dû accroître son intensité pendant la durée de la mer de Molasse ; mais surtout après, lors du pliocène inférieur. À ce moment, la zone circumpolaire s’est visiblement dépouillée de la plupart de ses anciennes richesses végétales et l’Europe, en a hérité. Elle-même devient plus froide que ne l’avait été le Groenland avant l’aquitanien ; elle n’a plus guère de palmiers, mais de grandes forêts, des lacs et de hautes montagnes. C’est pour elle le temps des précipitations aqueuses multipliées, et comme elle possède des cimes élevées, les glaciers tendent à se constituer, puis à descendre. Cette invasion, qui pour l’Europe n’aura qu’une durée limitée, a dû être pour