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justement leur présence au sein de la végétation arctique tertiaire au moment où, par le moyen des empreintes fossiles, ils nous est donné de la connaître et de l’analyser.

Le côté le plus intéressant que présente celle-ci, c’est d’avoir été observée sur quatre points appartenant à autant de régions différentes, et dont chacun se trouve sur un parallèle particulier ; ils constituent, par cela même, autant de points de repère échelonnés assez régulièrement à partir de l’Islande au sud jusqu’aux approches immédiates du pôle. On conçoit donc qu’il soit possible d’apprécier par eux l’influence des latitudes sur la composition du tapis végétal arctique, à l’époque tertiaire.

De ces quatre points, le plus méridional est l’Islande, dont les gisemens sont situés par 65-66 degrés de latitude nord et, par conséquent, un peu en dehors du cercle polaire. Ensuite viennent les gisemens de la côte occidentale du Groenland, placés le long de l’Ile de Disco et sur la rive opposée du canal de Waigat, plus loin encore vers le nord, à Kanginsak et Ingniesit, de 69° 30′ à 72 degré de latitude nord. — Les gisemens tertiaires du Spitzberg à la baie de la Cloche, dans l’Is-fiord el la baie du Roi, vont de 70° 30′ à 79 degrés de latitude nord ; enfin le gisement le plus boréal, celui de la terre de Grinnell, excède le 81e degré. On voit que, s’il existait alors une dégradation de la végétation polaire dans le sens des latitudes, elle devra ressortir de l’examen comparatif de ces quatre catégories de gisemens.

Prenons le point le plus avancé au nord, qui n’était séparé du pôle même que par un intervalle de 200 lieues : les plantes tertiaires de la terre de Grinnell ont été recueillies par le capitaine Feilden pendant l’hivernage de l’Alert et du Discovery. Les intrépides explorateurs de l’expédition, perdus dans les glaces, sur une terre dont la moyenne annuelle descend à — 20 degrés centigrades, hérissée de montagnes, surent découvrir une mine de charbon et arrachèrent aux schistes noirâtres qui la surmontaient les trente espèces de plantes déterminées par Heer.

La mystérieuse forêt de la terre de Grinnell s’élevait sur les bords d’un lac marécageux, aux eaux calmes semées de nénuphars, disparaissant ça et là sous une ceinture de roseaux et d’iris entremêlés. Tout auprès s’étendait une lisière de saules et de noisetiers ; non loin se dressaient des groupes du peuplier « arctique, » au feuillage mobile comme celui du tremble. Le cyprès chauve ou cyprès des marais, qui vit encore dans la Louisiane, s’avançait en masses pyramidales sur les bas-fonds inondés et le long des ruisseaux. Au-delà venaient des tilleuls, des viornes ; au-dessus d’eux des bouleaux ; puis, dans les parties les plus hautes, des bois profonds d’essences résineuses. Heer signale parmi elles deux pins,