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ne pouvaient être peuplés simultanément et identiquement des mêmes végétaux, en sorte que, si la physionomie et la composition de la flore tertiaire groënlandaise reproduit, trait pour trait, celle de la flore aquitanienne d’Europe, il est infiniment probable, pour ce seul motif, que la première est antérieure à la seconde et appartient à l’âge qui précède immédiatement l’aquitanien, c’est-à-dire à l’éocène supérieur ou tout au plus à l’oligocène inférieur, autrement dit « tongrien. » — En Auvergne, comme dans le midi de la France, ce niveau de l’éocène récent, riche en formations lacustres, n’est pas moins remarquable par les éruptions et épanchemens basaltiques qui se firent jour, aussi bien que dans le Groenland, à travers les lits en voie de dépôt. De plus, le terrain sidérotithique dû, comme nous l’avons expliqué dans une précédente étude, aux sources ferrugineuses et riche en ossemens de mammifères, a justement son équivalent dans le Groenland, où ces mêmes concrétions ferrugineuses ont servi à empâter de nombreux débris de plantes. L’Europe de l’éocène supérieur, surtout au midi du continent, était encore très chaude ; elle admettait la plupart des élémens végétaux qui, en Afrique et dans les Indes, caractérisent la flore tropicale, et les palmiers ne furent jamais aussi nombreux. Nos contrées étaient aussi moins humides qu’elles ne le devinrent plus tard, au moment où, le climat européen opérant une conversion, la végétation revêtit un caractère de fraîcheur et d’opulence, en même temps que les lacs se multiplièrent, tout en se transformant sur beaucoup de points en marais tourbeux. Y aurait-il lieu d’être surpris si, par un contraste des plus naturels, lors de l’éocène supérieur, quand l’Europe du Centre et du Midi était chaude et relativement sèche, l’extrême Nord et le Groenland en particulier eussent reçu en surabondance les précipitations aqueuses qui faisaient défaut à notre continent ? Faudrait-il s’étonner que les terres arctiques eussent possédé en propre une végétation en harmonie avec cet état de choses, c’est-à-dire adaptée à un climat doux en hiver et humide pendant toute l’année ? Au contraire, lorsqu’en Europe, dans le cours de l’oligocène, la température s’abaissa quelque peu, tandis qu’à son tour le climat devenait plus égal et plus humide qu’auparavant, peut-on rien concevoir de plus naturel que cette marche d’espèces, jusqu’alors reléguées au-delà du cercle polaire, profitant des nouvelles circonstances pour s’étendre et se propager vers le sud ? De là ce courant si facile à constater aux approches de l’aquitanien, qui s’établit et accroît son activité. Le résultat se traduit par une immigration successive, amenant l’introduction, toujours plus accusée, d’espèces jusque-là inconnues et la plupart à feuilles caduques. Cette dernière particularité autorise la conjecture que ces espèces avaient pour pays d’origine une région relativement froide, et nous constatons