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de forêts disparues ; mais de là à tout un ensemble coordonné de notions paléontologiques autorisant la reconstitution des périodes antérieures, il y avait un abîme, et personne n’aurait imaginé qu’il pût être comblé en moins d’un demi-siècle, grâce à l’esprit sagace et au travail obstiné d’un modeste savant de Zurich.

Deux circonstances, dont l’une se dresse comme un obstacle, tandis que l’autre facilite, au contraire, les mouvemens des explorateurs, ne doivent pas être perdues de vue dès qu’il s’agit d’apprécier des recherches poursuivies sur les terres polaires. D’une part, ces terres, sauf le long des côtes et au fond de certaines baies, se dérobent sous un manteau de glace qui enlève aux géologues les plus intrépides toute possibilité d’atteindre le sol. D’autre part, sur les points où le terrain se montre à nu après la fonte annuelle des neiges, l’absence d’humus, de couche alluviale superficielle et arable, favorise les découvertes. Rien n’est enfoui profondément, et les gisemens de plantes fossiles, les accumulations de bois convertis en silice et épars sur le sol s’offrent d’eux-mêmes aux regards de ceux qui veulent y porter la main.

Il est vrai que, sur ces plages mornes, le long des pentes abruptes, des éboulis mouvans, au pied des ravins profonds, vers le haut des escarpemens à gravir, sans routes frayées, sans moyen de transport, le naturaliste doit compter uniquement sur son énergie. La lutte qu’il entreprend excède souvent la mesure de ses forces, et des collections entières, déjà recueillies, ont dû être abandonnées à bien des reprises soit par l’impossibilité de les amener jusqu’au navire, soit encore parce que le vaisseau pris par les glaces fut délaissé par l’équipage. C’est ce qui arriva à Miertsching, près du détroit de Behring, après un voyage de trois ans. Ce fut également le sort du docteur Amstrong, du docteur Kane et de sir Léopold Mac-Clintock lors du second voyage de celui-ci aux îles Melville. Des milliers de plantes fossiles furent ainsi perdues ; mais le découragement n’est décidément pas le lot des enfans de Japet, audax Japeti genus : d’autres ont réussi où les premiers avaient échoué. Le capitaine Inglefield, le lieutenant Colomb, sir Mac-Clintock, plusieurs Danois, le Suédois Nordenskiöld, à deux reprises, ont fouillé le Groenland. Steenstrup a fait la même chose en Islande. Nordenskiöld est retourné huit fois au Spitzberg, d’où il a rapporté d’immenses collections. L’Alaska, les rives du Mackensie, l’île de Banks, la Sibérie centrale, l’île d’Andô, sur la côte de Norvège, enfin la terre de Grinnell, interrogée par Feilden, au-delà du 81e degré, ont fourni à leur tour des documens précieux, successivement dépouillés par Heer, rapportés par lui à des horizons très divers : tertiaire, crétacé, jurassique, carbonifère. Toutes les