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toutes petites tasses de porcelaine bleue, qu’il continue de remplir à la ronde à mesure qu’elles se vident. Le plateau, couvert de merveilleuses incrustations de nacre représentant des papillons et des insectes, la théière en vieux chine, le réchaud de cuivre, sont des pièces de musée ; mais, pour nous sept, rien qu’une cuiller de plomb, — qu’il faut se faire passer pour remuer son sucre.

A la hâte, on nous roule des cigarettes pointues en forme de cône, car nous nous sommes levés pour prendre congé. Et quand le mandarin sort pour nous reconduire à travers son vieux petit jardin mangé de soleil, escorté par étiquette d’un serviteur qui porte devant lui un parasol noir pareil à ceux des bas-reliefs de Ninive, — on sent passer tout à coup dans les choses, dans l’air, comme un ressouvenir de je ne sais quelle époque reculée de l’Asie antique ; la notion du siècle présent est pour un instant perdue…

En bas du petit sentier de bambous, des gens attroupés nous attendent pour nous vendre une quantité de coqs et de poules qu’ils tiennent à la torture dans de trop petites cages rondes ; — et puis des œufs, des bananes, des canards et des citrons. M. Hoé se récrie : C’est au marché que l’on va, quand on désire acheter de ces choses ! — là-bas, de l’autre côté de l’eau où nous avons vu tout le monde se rendre.

Vite alors, passons la rivière, mêlons-nous à la foule de Tourane. Ce sera amusant, et puis cela entre dans nos instructions de rapporter à bord pour les pauvres malades des œufs et des fruits, des choses fraîches à manger.

Mais voilà tout à coup 312, gabier de misaine, qui se ravise au moment de s’asseoir à son aviron. Un revirement soudain s’est fait dans le sentiment qu’il avait sur ces dames de tout à l’heure, et il voudrait maintenant, avec ma permission, aller leur faire une visite avant de quitter cette rive ; 216, gabier de grand-mât, l’accompagnerait aussi bien volontiers, et, par le petit sentier fleuri, on serait sitôt arrivé ! — Oh ! une visite très courte, et, tout de suite après, ils me rejoindraient par un sampan…

— Ah ! bien non, par exemple ! .. Trop dangereuse, cette galanterie, et ce serait trop dommage. J’ai charge d’âmes et je refuse en manifestant une grande indignation. Embarquons, tout le monde, et lestement piquons sur l’autre berge.

Un grouillement immonde que ce marché !

Cela se passe en plein soleil, sur une place carrée. De chaque côté, un double rang d’abris en chaume sous lesquels les vendeurs sont assis. Et, au fond, un mur de pagode où perchent de vieux petits monstres en porcelaine.

Bouilleurs de thé, servant tout chaud dans des tasses à