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M. Hoé veut bien nous indiquer une des raretés du pays qui paît sur la rivé droite : un cheval. Celui-ci, c’est le blanc ; il paraît qu’il en existe aussi un autre qui est noir. (A. Tourane, on ne voyage qu’en palanquin).

— Merci, monsieur Hoé ; mais nous avions déjà eu l’occasion de rencontrer dans d’autres pays ce genre d’animal.

Les premières cases de Tourane passent sous nos yeux, chaumières de bambous pour la plupart, et fort petites, n’ayant que trois côtés comme les boutiques foraines ; la nuit, on les ferme par des panneaux mobiles en rotin, mais le jour, on voit toutes les choses qui s’y font. En ce moment, les gens sont occupés à prendre, avec leurs dents teintes en noir, leur premier repas du matin : riz et poisson toujours, dans des jattes de porcelaine sur lesquelles sont peintes des diableries bleues.

Partout on s’arrête de manger, on nous regarde avec des airs de curiosité et d’inquiétude.

Nous allons maintenant tout doucement, nous autres, nous amusant aussi à examiner ce monde.

Dans le sentier qui longe la rivière il y a déjà des passans. Tous portent soutane collante, mais les nuances varient ; à côté du gris sale qui est la couleur des pauvres, il y a le violet, le capucine et le vert-pomme qui paraissent de mode pour les personnes huppées. Les chapeaux, qui sont en paille, dépassent toutes les proportions connues ; pour les femmes, c’est plat avec des rebords, comme un énorme tambour de basque ; pour les hommes, c’est conique et pointu, comme un gigantesque abat-jour. Le long de la rivière, piétinant les pervenches et les liserons roses, tout cela trotte à la queue-leu-leu, l’air affairé, inconscient d’être si ridicule. Et, au même point, tous s’embarquent dans des jonques plates qui les mènent sur l’autre rive.

Encore des pagodes qui passent, petites, vieillottes, leurs vilaines diableries toute mangées de vétusté et de poussière.

Et puis, à un point où la berge peu élevée forme un grand talus vert, M. Hoé nous arrête devant un étroit sentier qui monte ; alors nous amarrons contre une jonque notre baleinière blanche, et nous sautons sur le sable.

À terre, c’est tout de suite une impression de chaleur plus lourde ; les bambous légers donnent une ombre tamisée, tremblante, de store chinois, — ombre chaude qui ne rafraîchit ni ne repose. Nous montons plusieurs marches de pierre, et le portique du mandarin paraît devant nous ; il a des pylônes d’un style indien ; il est surmonté d’un mirador contenant une niche à guetteur et un tam-tam.