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Arabes. En face de la porte, un grand miroir à cadre doré, recouvert d’une gaze rose, et au-dessous, par terre, le long coussin du divan devant lequel Kéra a installé pour moi le plateau de cuivre gravé et servi le café.

— Kéra, tu m’as déjà dit hier que je trouverais ici cette femme; j’y comptais. Ne l’as-tu donc pas prévenue?

— Je te dis maintenant que c’est pour demain, me répond-elle ; il n’a pas pu venir. La négresse il la commandera encore.

À ce moment, la « négresse » arrivait. Elle aussi se nomme Kéra et vient de temps en temps faire les commissions et le ménage de mon hôtesse, laver sa cour et son escalier. Elle est hideuse, louche comme les démons, et toute décharnée dans son grand haïk de cotonnade bleue.

— la femme pour les ceintures ne peut pas venir aujourd’hui, nous dit-elle.

— Et demain?

— Je ne crois pas.

— Mais quand alors ?

— Je crois qu’elle ne viendra pas du tout,.. finit par avouer Kéra la négresse. Il faut que tu ailles chez elle.

— Pourquoi ne me l’as-tu pas dit hier? Allons-y demain, tu m’y mèneras.

Nous fixons l’heure. Je dois venir prendre Kéra la négresse chez Kéra la Mauresque, et nous trouverons enfin ce que depuis trois jours elle me promettait.


Jeudi 9 février.

J’arrive à midi par les gradins rapides et tout glissans de pelures d’oranges de la rue de la Lyre, à la maison de Kéra.

Je frappe, — ce matin on est longtemps à venir regarder au petit judas de la porte et encore plus à m’introduire.

C’est Zuleyka, tout endormie, qui est venue enfin m’ouvrir.

— Où est ta sœur Kéra? — Pas là. — Et la négresse? — Pas là. — Mais elle devait m’attendre à midi. — Je ne sais pas. — Tu es seule ici? — Oui.

Et elle se rassied en bâillant sur une planche qui recouvre la margelle du puits dans la cour.

— Et où est Kéra, ta sœur? Réponds donc. — Elle a été chez le cadi. — Et la négresse ne viendra pas ? — Je ne sais pas, elle est venue ce matin. — Et Zuleyka veut se rendormir, appuyée contre la muraille.