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zigzag, et voici une première maison comme accrochée au bord du précipice. Autour, plus haut, dans chaque anfractuosité du rocher, l’une surplombant l’autre, ou perchées au-dessus du vide, sont les habitations de ces braves gens. Je crois qu’aucune Européenne n’est encore montée ici, et le chef m’invite à entrer dans cette première demeure, strictement « harem, » car seul il a le privilège d’entrer avec moi. Nous suivons un corridor tortueux, qui court à pic au-dessus de l’abîme, poussons plusieurs portes closes, traversons une cour tout infecte de fumier et d’immondices. Mon guide appelle, et une troupe de femmes sort en courant d’un sombre taudis. Elles s’arrêtent consternées en m’apercevant, baisent humblement la main de mon conducteur et puis m’entourent avec des cris, des rires, des airs effarés. On me fait entrer dans le harem, la longue pièce obscure, basse, à peine éclairée par la porte ouverte, d’une saleté et d’une misère indicibles. Aux deux bouts, le divan en maçonnerie où la famille passe la nuit. En un instant, la salle est bondée de femmes et d’enfans. Elles me regardent, me touchent avec des cris de sauvages, — puis s’enhardissant me saisissent les mains pour voir mes bracelets. Mes gants, ma pèlerine de fourrure surtout, les confondent ; il faut les ôter et elles se les passent sur le visage en les caressant et en hurlant de rire. Mes cheveux aussi les étonnent, — les leurs sont de courtes broussailles noires. On m’entraîne sur le divan de briques croulantes, et là un examen plus approfondi commence. Mes bottines et leurs boutons, puis mes jupes successivement soulevées et comptées avec des ébahissemens et des cris, et puis mes bas de soie ! Mais, devenant inquiète cette fois, je fais retirer impérativement toutes ces mains noires qui m’examinent avec une rage enfantine.

Elles m’accablent de questions, de gestes comiques, de comparaisons entre elles et moi. Je ne comprends que ces dernières et j’imagine que le résultat n’est pas à mon avantage, — sauf pour mes bracelets d’or, qu’elles se sont passés aux bras, et pour mes mains qu’elles comparent avec leurs pauvres pattes noires, tout écaillées et usées par de gros travaux.

Les vieilles femmes sont presque nues sous leur foutah de cotonnade bleue toute trouée, et elles sont hideuses comme de véritables harpies. Une seule femme parmi elles, jeune, évidemment la favorite du logis, semble porter tous les vêtemens et les bijoux de la famille : bracelets de fer et d’argent, colliers innombrables et bruyans, immenses boucles d’oreilles et fichus aux couleurs vives. Dans toutes les maisons successivement je n’en vois de même qu’une seule qui soit parée et pour laquelle sans doute les plus âgées sont dépouillées.