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presque toujours les rails du petit chemin de fer Decauville, le seul qui existe dans cette partie du monde, et qui ne marche qu’une fois par semaine, et cela pour le service militaire. Encore déraille-t-on souvent.

De ce côté de Sousse il y a, sur une certaine longueur encore, de vieux bois d’oliviers. Nous avons 50 kilomètres à faire en ligne droite vers l’intérieur, et bientôt la plaine commence, stérile, pierreuse, tachetée de broussailles grises, se déroulant jusqu’à l’horizon de montagnes à peine visibles. Nous croisons nombre d’Arabes avec leurs chameaux et le petit âne indispensable, chargés de couffins de dattes, de blé, de fagots, de sacs de sable.

Quelquefois, au bord de la route, l’on retrouve des traces de ruines romaines, citernes pour la plupart. Pas un village. De temps en temps, un douar de petites tentes basses et brunes se confond avec le sol : d’immenses troupeaux de moutons et de chèvres, gardés par des bergers à cheval, ou quelques chameaux entravés, paissent auprès du campement nomade.

A midi, nous faisons halte au beau milieu de la route; les chevaux soufflent, boivent, et nous déjeunons, avec des œufs durs, du poulet maigre et des mandarines, — notre repas quotidien. Nos cochers maltais, nos grooms arabes (car pour chacune de nos voitures nous est imposé ce luxe, qui devient une nécessité en cas d’accident), nos domestiques se régalent de nos restes, et nous reprenons une route dont nous ne sentons pas la monotonie, grâce aux causeries, incomparables d’intérêt, de nos savans compagnons.

Vers quatre heures enfin, quelques lignes blanches se détachent sur l’horizon contre le soleil, devenu ardent. Le sol est plus mauvais; la lande est ravinée profondément, et les sillons de boue durcie nous donnent d’horribles secousses. Plus trace de route, il faut chercher les passages les moins périlleux. Au loin, le manteau rouge d’un spahi nous apparaît, très bienvenu. C’est le cavalier envoyé à notre rencontre, de Kairouan, pour nous en indiquer les approches; et, une demi-heure après, nous sommes sous les murs, crénelés aussi, de la ville sainte.

Nos visites « officielles » faites, ainsi que notre installation dans une pauvre et microscopique auberge, nous allons remercier le gouverneur, qui, grâce aux recommandations qu’on avait bien voulu lui envoyer de Tunis, nous avait offert à côté de chez lui le logement et l’hospitalité dans un palais réservé à cet usage. Mais nous avons préféré notre liberté d’action et nous l’expliquons, tant bien que mal, à M’rabot, qui veut bien agréer nos excuses.

Puis nous errons par la ville, escortés de Hassan, le vieux et très loquace barbier et interprète intime du gouverneur. Il nous