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désaveu public paraissait à peine suffisant à la cour de Vienne. Thugut, qui dirigeait alors la diplomatie autrichienne et y apportait son intrigue captieuse, son âpreté de convoitise, son scepticisme politique, n’avait consenti à approuver les négociations entamées avec Dumouriez qu’autant que l’Autriche y serait de mauvaise foi. On le pousserait sur Paris, puis, une fois qu’il serait en route, on profiterait du trouble même causé par son entreprise pour recommencer les hostilités. Le but que Dumouriez se proposait d’atteindre importait peu. « Les différentes factions peuvent, pour ce moment, être assez indifférentes à Sa Majesté, écrivait Thugut ; ce qui est essentiel pour son service, c’est qu’il y ait des partis en France qui se combattent et s’affaiblissent mutuellement ; et qu’on profite de ce conflit pour tâcher de se rendre maître des forteresses et d’une aussi grande étendue de pays qu’on pourra, afin de faire la loi au parti qui, en dernier résultat, aura prévalu, et l’obliger d’acheter la paix et la protection de l’empereur en lui cédant cette partie de ses conquêtes que Sa Majesté jugera de sa convenance[1]. » C’est dans cette pensée que l’empereur ratifia, le 9 avril, la trêve conclue avec Dumouriez, et que le 10 il écrivit à Cobourg : « Comme finalement Dumouriez doit être arrivé à Paris à l’heure qu’il est et que la confusion et la consternation doivent avoir atteint maintenant le plus haut degré en France, je vous prie, à la réception de la présente, de déclarer que, sur mon ordre, l’armistice sera rompu sur l’heure… La manière dont là France est tombée sur moi en me faisant la guerre ne me permet pas de considérer si Dumouriez a proclamé roi le duc d’Orléans ou Louis XVII. »

Lorsque l’Autriche le prenait sur ce ton avec les prisonniers du Temple et la couronne de France, quels ménagemens en pouvait attendre l’équivoque personnage qui ne lui offrait son épée que parce qu’il se trouvait hors d’état de s’en servir contre elle ? Dumouriez en était réduit à protester : on lui fit sentir que ses protestations étaient importunes ; qu’il n’avait pas à rappeler les engagemens d’autrui, n’ayant pu tenir les siens ; qu’il n’avait point surtout à se mêler des affaires de la coalition. Les Autrichiens cherchaient à se débarrasser de lui, les émigrés français l’insultaient en pleine rué. Il quitta Bruxelles et se mit en route pour la Suisse à travers le Wurtemberg : le grand-duc l’invita à quitter ses états. L’électeur de Cologne, qui était un archiduc d’Autriche, refusa de le recevoir dans les siens. Enfin, le gouvernement de Vienne ordonna de l’expulser s’il revenait en Belgique. Il y revint cependant ; Mercy était d’avis de le ménager ;

  1. Voir la lettre de Thugut à Colloredo, 1er et 6 avril 1793. Correspondance de Thugut, publiée par M. de Vivenot.