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fussent prises à la solde de l’Autriche. Il oubliait les temps et les lieux, il se rajeunissait de vingt ans et se croyait en Pologne. Le 31, il rentra en France et fixa son quartier général à Saint-Amand, avec une partie de son armée campée à Maulde et l’autre partie à Braille. Pour expliquer sa retraite, préparer l’opinion à son coup d’état, prévenir surtout l’effet de la remise des places aux Autrichiens, il adresse à Beurnonville des lettres destinées à être lues à la Convention. Il dépeint l’état désespéré de l’armée, il met la Convention en demeure de changer de système, il conseille la paix, il menace enfin d’imposer ses conseils, si on refuse de les écouter.


Pensez bien à négocier puisque vous n’avez pas la faculté de vous battre, et croyez que les hommes qui, comme moi, ont soutenu le poids de la guerre, ne se laisseront pas écraser par de vils assassins… … Je suis bien loin d’accuser la Convention nationale des excès de quelques-uns de ses membres. Livrée à la tyrannie des tribunes, elle lutte et succombe sous une minorité qui réduit la majorité au silence. Cela ne peut pas durer. La portion d’armée qui est restée fidèle à ses drapeaux et à l’honneur français est prête à combattre également les ennemis intérieurs et extérieurs de la patrie. Nos généraux sont victimes d’une désorganisation préparée, nous sommes calomniés, menacés de mort, lorsque avec toute l’énergie d’hommes libres, nous disons des vérités importantes et nécessaires… Voilà quatre généraux arrêtés depuis un mois. Que prétend-on faire ? .. Où veut-on en venir ? .. Les commissaires de la Convention viennent de me sommer d’aller à Lille ; je vous déclare que je regarde ma tête comme trop précieuse pour la livrer à un tribunal arbitraire. Je ne peux être jugé de mon vivant que par la nation entière, comme je le serai après ma mort par l’histoire[1].


A Paris, l’inquiétude est extrême. On assure que les troupes de Dumouriez lui sont entièrement dévoués, que les volontaires même le suivent, qu’il marche déjà sur Paris. Comme il est nécessaire de ménager l’armée, le conseil et le comité de défense essaient de démasquer publiquement Dumouriez devant elle. La Convention décide, le 30 mars, de le mander à sa barre. Le ministre de la guerre, Beurnonville, est chargé de faire exécuter le décret. Il est aimé des soldats, on espère qu’il les ramènera dans le devoir. Quatre commissaires l’accompagnent : Camus, Quinette, Lamarque et Bancal. Carnot, qui est à la frontière du Nord, doit se réunir à eux. Ils partent le 30, à huit heures du soir ; en route,

  1. Lettres des 28, 29, 30 et 31 mars, publiées dans le Moniteur.